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ANALYSES.sabatier. Essais d’un naturaliste transformiste.

fiance, que les lois bien comprises de l’évolution, loin d’être un instrument de démolition et de négation entre les mains des adversaires de toute foi, sont au contraire appelées à devenir, pour le chrétien éclairé et courageux, des armes et des lumières d’un prix inestimable. »

La Bible a déjà été mise d’accord avec un certain nombre de découvertes récentes, et nous ne désespérons pas de la voir bientôt devenir le catéchisme des transformistes. Les trois premiers essais de M. Armand Sabatier traitent de la création du monde vivant, de la génération spontanée et de l’origine de l’homme. Mais ils ne paraîtront qu’après les quatrième et cinquième essais consacrés à la question du libre arbitre.

Grave question, dit l’auteur, car les conséquences sociales de la négation de la liberté morale ont quelque chose d’effrayant, puisqu’il n’y a plus alors ni bien ni mal moral dans le sens rigoureux du mot. — On peut répondre ici que le sens donné par les déterministes aux mots bien et mal, pour être différent de l’ancien sens, n’est pas moins rigoureux pour cela, et que ses conséquences sociales n’ont rien qui puisse nous épouvanter. La lecture de ce qui a été écrit sur ce sujet par certains philosophes contemporains suffirait, pensons-nous, pour rassurer M. Sabatier à cet égard.

Le chemin suivi par l’opinion des déterministes, M. Sabatier a dû le suivre également sur le terrain devenu exclusivement scientifique, mais il refuse d’avancer dans cette voie, lorsqu’il s’agit de la volonté humaine. Ce n’est pas qu’il ait de nouvelles preuves à donner du libre arbitre : il ne peut en invoquer d’autre que le témoignage de sa conscience ; il nous déclare libres de par son sens intime.

Pas tout à fait libres, cependant — car le sens intime d’un savant distingué ne saurait s’abuser au même point que celui du premier métaphysicien venu. « Il est incontestable, dit M. Sabatier, que l’hérédité, le tempérament, l’éducation, le milieu général, l’exemple, les impressions et les perceptions précédemment emmagasinées sous forme d’habitudes ou autrement, constituent un ensemble d’influences inconscientes dont la portée est incalculable, et qui diminue sans aucun doute, dans des proportions considérables, la part de liberté morale dont nous jouissons réellement… Oui, certainement, notre liberté est peu étendue, mais nous sommes libres ; et rien ne peut prévaloir, me semble-t-il, contre les affirmations de notre conscience. » — Combien de consciences, pourrait-on répondre, ne se doutent pas de l’existence de ces innombrables liens auxquels vient de faire allusion notre auteur ! Et combien ces consciences doivent parler plus haut, en faveur du libre arbitre, que celle de M. Sabatier. Il semble donc que quelque chose puisse prévaloir contre les affirmations de notre sens intime.

Mais c’est dans la suite de son travail que l’argumentation du professeur Sabatier revêt un sérieux caractère d’originalité.

« Le libre arbitre humain admis, dit-il (il n’ose dire : prouvé), plusieurs questions s’imposent à l’homme de science. Comment le concilier