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les branches de la croix. Cette impression rappelle les mouvements à accomplir, et nous avons l’idée de ces mouvements de même que nous avons l’idée d’un mot, considéré comme production vocale, sans que nous le prononcions. À la vue d’un mot écrit nous sentons tous les mouvements des lèvres et de la langue sans les remuer effectivement et nous avons la perception de l’articulation de ce mot sans l’articuler.

L’image rétinienne nous ayant déterminé à diriger les axes optiques d’une façon ou d’une autre jusqu’à ce que tous les points de l’objet aient eu leur image sur la tache jaune, la réapparition de cette image peut nous rappeler le système des mouvements correspondants et, sans que nous exécutions ces mouvements, nous rappeler la forme de l’objet extérieur.

Sans les mouvements du globe oculaire et de la tête, et aussi les contractions du muscle accommodateur dont il faut tenir compte, nous ne connaîtrions par la vue rien autre que la clarté et la couleur.

Faites sur le papier une figure arbitraire, n’ayant aucun nom ni aucun usage qui vous la rappelle, regardez fixement l’un de ses points ; vous n’arriverez jamais à vous la graver dans la mémoire si vous ne promenez pas un seul instant l’axe optique sur ses différents points. La promptitude avec laquelle les yeux se meuvent et la grande tendance qu’ils ont à le faire rendent cette expérience difficile à réaliser. On est bien rarement certain de ne pas avoir laissé un instant le regard s’égarer sur les contours de la figure.

En voici une autre plus facile. Faites une série de points en ligne droite, regardez fixement le premier et essayez de compter combien il y en a à sa suite ; vous n’y parviendrez pas sans déranger la direction de l’axe optique.

[Image à insérer]

Fig. a.

Si l’image rétinienne nous donnait la perception de l’étendue, ne devrions-nous pas pouvoir compter ces points ? Enfin, si l’image rétinienne nous disait quelque chose sur la forme exacte des corps, comment expliquer que pour lire un mot nouveau nous sommes obligés de regarder successivement chaque lettre, et que pour voir si nous avons réellement mis un accent aigu ou un accent grave nous sommes obligés de diriger l’axe optique de l’œil sur la place que doit occuper cet accent ?

Non seulement l’image rétinienne ne nous dit rien de précis sur la forme absolue, mais elle ne nous donne même pas le rapport des deux dimensions d’une surface.

Une figure tracée sur la rétine est le lieu des images d’une infinité de formes extérieures différentes. Suivant que les circonstances nous suggèrent l’une ou l’autre de ces formes, nous associons l’impression rétinienne aux mouvements qui nous donneraient la perception de cette forme.