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LA PERCEPTION DE L’ÉTENDUE PAR L’ŒIL

(Observations sur l’article de M. A. Binet)[1].

Les expériences de M. A. Binet sur l’étendue des images consécutives sont du plus vif intérêt. Elles sont rigoureusement démonstratives sur deux points : 1o l’existence de visa purs sans mélange d’impressions tactiles ou musculaires, ou la possibilité de traiter la vue comme un sens simple ; — 2o l’extension en surface des visa purs et simples. M. B. me paraît vraiment trop timide quand il s’abstient de considérer ses expériences comme suffisantes pour réfuter victorieusement la thèse empiriste à l’égard de la surface des visa. Il aurait pu, ce me semble, généraliser ses affirmations et accentuer ses conclusions : en premier lieu, toutes les images entoptiques, et non pas seulement les images consécutives, sont indépendantes des mouvements de l’œil, et toutes sont des images de surfaces ; de plus, l’habitude de les associer à d’autres sensations et de les interpréter ; elles sont donc pour nous des data purs, étrangers à l’activité habituelle de l’esprit, des types parfaits du visum tel qu’il est donné ; leur caractère de surfaces nous permet donc de poser en loi que tout visum est essentiellement et primitivement une surface.

Une autre méthode, plus spéculative, mais non moins sûre peut-être, permet d’arriver à la même conclusion. Que j’essaye de penser une couleur ou une lumière ou même l’obscurité sans dimensions, un point mathématique coloré, lumineux ou obscur ; je n’y parviens pas. Pour-quoi ? C’est que mon expérience passée ne contient pas ce que je cherche. Si j’avais vu le point lumineux, je pourrais le penser ; si je ne puis le penser, c’est que je ne l’ai jamais vu. L’idée générale de couleur ou de lumière est l’idée de la surface colorée ou lumineuse, parce qu’elle est uniquement formée de couleurs et de lumières étalées.

Mais, sur la question de la troisième dimension, il m’est impossible de me rallier aux conclusions de M. B. Le relief consécutif, dont Helmholtz avait déjà parlé (Optique physiologique, p. 936-937, trad. fr.) est assurément une jolie expérience, et M. B. en tire très logiquement (après Helmholtz) une conclusion importante, à savoir que le relief est une donnée proprement visuelle et non musculaire. Mais pour prouver que la profondeur est donnée dans les visa, il faudrait au moins que le relief fût obtenu avec un seul œil, car la vision binoculaire ne peut être considérée, au point de vue psychologique, comme la vision normale ; résultant de l’association et de la combinaison de deux visa, le relief n’est pas un élément constitutif du visum comme tel, ce qu’est la surface. Ensuite, le relief est-il la profondeur, comme semble le croire M. B. ? Non ; le relief est plutôt une anomalie des visa, anomalie très fréquente, qui suggère l’idée de la profondeur, car nous l’expliquons

  1. Voir le numéro de février 1886.