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notes et discussions

que pour une vraie ; on devra donc, sur un grand nombre, trouver autant des unes que des autres.

D’après la théorie mathématique, au contraire, la proportion des erreurs doit toujours être sensiblement inférieure à la moitié ; mais, si d’ailleurs on fait plusieurs séries d’expériences avec diverses différences entre les excitations, le taux pour cent des erreurs s’élèvera suivant une loi précise, en sorte qu’on pourra le calculer théoriquement, et le comparer avec le taux pour cent observé.

L’accord entre le calcul et l’observation est suffisant pour confirmer pleinement la théorie mathématique, et pour écarter par suite l’hypothèse du seuil différentiel.

Le nombre des expériences a dépassé 3 000, sur des excitations produites par la pression de poids dans des rapports variant de 1,005 à 1,100. MM. Peirce et Jastrow se sont montrés particulièrement ingénieux dans l’adoption des dispositifs destinés soit à écarter les causes d’erreurs systématiques, soit à faciliter les expériences. Mais je ne puis ici entrer dans la description de tous ces détails.

Il convient cependant de remarquer qu’en même temps qu’il faisait chaque réponse, le sujet l’accompagnait d’un chiffre marquant l’état du jugement sur le caractère de cette réponse.

Ainsi, 0 désignait l’absence de toute préférence pour une des deux alternatives : 1 une tendance distincte à se prononcer dans un sens ; 2 une certaine confiance ; 3 une confiance aussi complète que possible.

La discussion des proportions d’erreurs pour chacun de ces quatre degrés, ainsi que la recherche de la confiance moyenne pour chaque série d’expériences, ont donné lieu, de la part de MM. Peirce et Jastrow, à des remarques intéressantes, mais je me borne désormais à signaler le jugement qu’ils portent sur la méthode suivie par Fechner.

Si les expériences de psychophysique poursuivies jusqu’à présent ont paru établir l’existence d’un seuil différentiel, c’est qu’elles ont porté, non pas en fait sur les perceptions, mais bien sur des jugements de comparaison entre des perceptions. Ces jugements sont déterminés par un élément sensationnel secondaire, que MM. Peirce et Jastrow ont essayé de mesurer comme degré de confiance moyenne, et qui disparaît assez souvent du champ de l’attention, même lorsque celle-ci est aussi éveillée que possible. Mais, même lorsque cet élément est absent (degré 0), la réponse est encore vraie 3 fois sur 5, ce qui prouve que les éléments sensationnels primaires ont toujours une action réelle, quoique inaperçue par la conscience.

La prétendue loi psychophysique ne donne donc qu’une formule brute, ne correspond qu’à une moyenne grossière entre des états de conscience très complexes et très fugitifs ; elle n’a point de valeur théorique, et son importance pratique se trouve même limitée par les recherches dont j’ai essayé de rendre compte.

Paul Tannery.