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LESBAZEILLES. — bases psychologiques de la religion

catégorie de conditions, et donneront lieu à une famille spéciale de mythes.

À côté de la division fondamentale des conditions de la culture en objectives et subjectives, nous apercevons une autre division qui s’impose également d’elle-même. Ces conditions, en effet, peuvent être générales ou particulières. Voici ce que nous entendons par ces termes sont générales les conditions qui tiennent à la nature ordinaire et constante, soit du milieu, soit de l’agent ; particulières, celles qui proviennent d’une circonstance accidentelle dans le milieu ou d’une modification individuelle chez l’agent. Par exemple, dans le groupe objectif, les phénomènes de la nature qui se reproduisent à points nommés et suivent une marche régulière, ceux qui modifient l’homme ou que l’homme peut modifier d’une façon uniforme, sont des conditions générales de la civilisation ; sont de même nature, dans l’autre groupe, les qualités et les tendances de l’espèce humaine tout entière, les modalités spécifiques dont l’ensemble constitue le terrain subjectif de la culture. Au contraire nous appellerons conditions particulières : dans le premier groupe, les conditions spéciales faites à un peuple par la présence d’un voisin hostile, par une invasion ou un changement politique important, par une perturbation géologique, en un mot par un événement historique quelconque ; dans le second groupe, l’existence de tel individu mieux doué que les autres à tel égard et qui a rendu de grands services à ses contemporains, comme celle d’un inventeur, d’un législateur, de tout homme ayant déplacé le centre de l’adaptation sociale. Que beaucoup de mythes soient, en totalité ou en partie, des personnifications de conditions particulières, c’est ce qu’il est impossible de nier : ne trouve-t-on pas dans les dogmes indiens et persans bien des souvenirs de la lutte des races aryennes contre les Dravidiens ou les Touraniens ? La mythologie hébraïque n’est-elle pas souvent le reflet du sort politique des Juifs ? Bien des légendes ne perpétuent-elles pas la mémoire de personnalités illustres et bienfaisantes ? On ne saurait donc nier la légitimité de cette seconde division, qui porte à quatre le nombre des groupes généraux de mythes, à savoir : 1o mythes cosmiques (conditions objectives générales) ; 2o mythes éthiques (conditions subjectives générales) ; 3o mythes historiques (conditions objectives particulières) ; 4o mythes héroiques (conditions subjectives particulières). — Notre théorie a donc incontestablement des applications pratiques, et peut contribuer à mettre l’ordre dans l’étude des religions. Or, n’est-ce pas une excellente façon de prouver la vérité d’une hypothèse que de la faire servir à simplifier et à élucider les recherches ?

(La fin prochainement.)
Lesbazeilles.