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Qu’est-ce que les conditions objectives, et quel sera leur caractère commun ? Elles consisteront essentiellement en phénomènes ou en forces du milieu ambiant pouvant exercer sur la vie humaine une influence quelconque, et capables de concourir, d’une façon positive ou négative, au progrès social. De là une première catégorie de mythes, ayant pour contenu des existences cosmiques ; mais ces existences, remarquons-le bien, ne seront jamais transformées en mythes que par leurs côtés pratiques, et relativement à l’usage que l’homme peut en tirer ou au danger qu’il peut en craindre. C’est moins le milieu lui-même que la réaction contre le milieu qui est symbolisée. L’homme n’a que faire de personnifier de purs objets, et ne peut songer à diviniser la nature qu’autant qu’il voit en elle une collaboratrice ou une ennemie, c’est-à-dire une occasion d’adaptation. Ce n’est pas du soleil qu’il fait un dieu, ni même de la lumière ou de la chaleur dégagées par cet astre, c’est de la somme des avantages que peut lui procurer l’énergie solaire et de la relation qui naît ainsi entre elle et lui. L’élément aqueux ne l’intéresse que comme condition du développement des plantes et des animaux, ou encore comme moyen de transport. Il ne craindra l’atmosphère que pour les tempêtes qu’elle recèle ou les miasmes dont elle est chargée. L’orage, ce phénomène tant exploité par les mythologues, n’a de valeur pour lui que comme libérateur des eaux et antagoniste de l’ardeur céleste. Ainsi, c’est toujours le rôle joué par les éléments dans la vie humaine qui fait le contenu des mythes cosmiques, ce n’est jamais la chose elle-même ; la nature n’est divinisée que comme instrument du progrès : la religion ne connaît pas d’objet pur. En un mot, la façon dont le milieu agit sur l’homme et dont l’homme réagit contre le milieu (le premier élément étant inséparable du second) : voilà ce qu’expriment invariablement tous les mythes empruntés à cette classe.

Quant aux conditions subjectives, ce sont essentiellement des qualités morales, des dispositions du sujet qui favorisent (ou entravent) le développement social, des adjuvants (ou des obstacles) que la civilisation trouve dans l’homme même. L’empire sur les sens, par exemple, indispensable à la constitution de la famille, la sobriété qui conserve l’homme à lui-même, l’énergie morale qui le met au-dessus des obstacles extérieurs, le courage, la bienveillance, la véridicité, seront autant de circonstances intrinsèques favorables au maintien de l’harmonie et au progrès, que la conscience collective pourra prendre comme objets des mythes. Bref, toutes les tendances du sujet qui peuvent devenir des facteurs de l’adaptation et se manifester par des effets pratiques rentreront dans cette seconde