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LESBAZEILLES. — bases psychologiques de la religion

changements externes ni les changements internes qui y répondent : de sorte qu’elle peut donner les mêmes produits chez des peuples à développements divergents, ou des produits différents chez des peuples à développements parallèles. Au contraire, la religion reflète les parties constitutives du milieu dans leur rapport avec le sujet, et traduit exactement l’état social ; de sorte que les mêmes mythes représentent forcément les mêmes réactions ethniques. En un mot, la religion sert d’écho à la vie concrète de l’espèce ; en elle s’enregistrent tous les mouvements par lesquels l’âme collective répond aux changements externes, si bien qu’elle devient une copie fidèle de l’évolution sociologique. Il n’est rien dans son contenu qui ne reproduise un événement, une habitude, une modification active de la race.

On voit en même temps combien doivent être complexes les images par lesquelles l’humanité religieuse symbolise sa propre histoire, et combien est grand le nombre d’éléments réels auxquels chacune d’elles peut correspondre. L’explication des mythes est, à coup sûr, infiniment moins simple que beaucoup ne le supposent, et là où on ne voit que l’énoncé d’une seule donnée, compliqué par des additions poétiques, il y a peut-être l’écho d’une infinité de choses distinctes. Pour fournir un compte rendu adéquat des dogmes, il faudrait posséder parfaitement l’histoire des générations chez lesquelles ils se sont formés ; il faudrait tenir un bilan exact de leurs progrès en tout ordre, en un mot, savoir ce qu’elles ont fait pour comprendre ce qu’elles ont cru. Peut-être l’explication détaillée d’aucun mythe n’est-elle actuellement possible. Mais si la science est obligée de reconnaître son impuissance en bien des cas, et si le détail lui échappe le plus souvent, elle peut cependant se tracer à elle-même certaines règles de méthode générale, déterminer quelques principes qui l’aident à organiser ses matériaux. Si notre hypothèse sur l’origine des mythes est vraie, on peut, en la prenant pour point de départ, imposer d’avance à ces mythes un certain nombre de classes dans lesquelles ils devront forcément rentrer, et préciser ainsi le champ des recherches. Parmi ces classes, en voici quelques-unes dont les relations logiques avec notre hypothèse s’aperçoivent de prime abord. C’est ainsi qu’il résulte de notre définition que les conceptions religieuses devront affecter autant de formes qu’il y a de groupes à distinguer dans les conditions de la civilisation ; or il est évident que ces conditions peuvent être de deux ordres : ou bien d’ordre externe et consister en une manière d’être du milieu, ou bien d’ordre interne et équivaloir à une disposition du sujet. Disons quelques mots de ces deux classes de conditions et des mythes qui s’y rattachent.