Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
382
revue philosophique

à l’homme, en fin de compte, que la foi de l’homme s’adresse ; c’est à notre propre histoire que nous croyons, non à l’histoire de la nature Dieu, chose interne et pratique, c’est le sujet lui-même en voie d’évolution.

Le mythe naît donc de l’humanité et la reproduit dans son activité. Si maintenant nous voulons donner de sa genèse une formule précise en énonçant la loi mentale qui la régit, nous pourrons dire que cette loi consiste en ce que l’homme pense sous forme mythique ce qu’il fait comme être social. Avant la religion, l’homme agit déjà (car la civilisation est antérieure au dogme comme elle lui sera postérieure), mais sans se rendre compte de ses actes. Réfléchissant ensuite sur sa conduite, il l’aperçoit dans son caractère social ; alors, par un dédoublement spontané, il objective sa propre activité et se la représente sous la forme d’un être extérieur : de la sorte, il pense comme mythe ce qu’il accomplit comme acte, et la loi posée plus haut trouve son application. La formation du mythe tient donc, en dernière analyse, à la nécessité qui contraint l’homme, en une certaine phase de son évolution, à se représenter consciemment l’adaptation commencée dans l’inconscience. Nous n’avons point encore à déterminer l’origine et la portée d’une telle nécessité ; contentons-nous de la signaler comme étant la raison dernière du mythe et la loi la plus haute à laquelle nous puissions remonter à présent. — Occupons-nous maintenant de rechercher ce que va devenir le mythe une fois formé, et dans quelles limites il se développera.

D’après ce que nous venons de voir, un système de mythes ne pourra devenir complet que si aucune des circonstances essentielles qui concourent à la production et au maintien de l’état de culture n’y est omise, et si chacune y est représentée par un symbole approprié. Cette symbolique naturelle, composée de données qui correspondent chacune à un élément nécessaire de l’adoption, constitue précisément le fond commun des dogmes, au moins de ceux que professent les races appartenant au même mouvement historique et social. De même que, chez les espèces vivantes, la ressemblance des organes prouve l’identité des conditions d’évolution, chez les peuples, la parité des mythes prouve l’analogie des développements sociaux. La religion se trouve par là fournir un moyen fort exact d’apprécier les degrés de parenté et les relations évolutives des divers groupes de la famille humaine. Autant, par exemple, la comparaison des philosophies et, en général, des produits de l’intelligence pure est trompeuse à cet égard, autant est sûr le critère fourni par la religion. C’est que l’intelligence se constitue par une intégration soustraite à l’influence directe du milieu, et ne signale ni les