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LESBAZEILLES. — bases psychologiques de la religion

mentales qui constituent les divinités de tout ordre ? ou, ce qui revient au même, qu’est-ce que l’esprit se représente dans les mythes ?

À cette question, nos prémisses ne nous permettent de donner qu’une réponse : l’objet de l’image ne peut être que l’une des conditions de la conduite humaine, considérée en dehors de toute application déterminée ; le contenu de la croyance, c’est une circonstance de l’adaptation collective ; bref, ce que l’esprit se représente dans le mythe, ce sont les conditions de la civilisation, et le mythe lui-même n’est qu’une personnification de ces conditions. Par quels processus l’homme est-il arrivé à donner une forme personnelle à de tels éléments c’est une question que nous n’avons pas à aborder, parce qu’elle n’est pas spéciale à notre thèse et se pose aussi bien dans toutes les autres théories, et parce que sa solution ne dépend nullement de la façon de concevoir le contenu même de la religion : or, notre seul objet est précisément de déterminer ce contenu, de chercher quelles sont les choses qui sont personnifiées, les réalités qui sont divinisées. Ces réalités, nous le répétons, ce sont nécessairement des facteurs de la conduite collective, ou, ce qui est identique, des conditions de la culture.

Ainsi, ce que l’homme symbolise dans tout mythe, c’est une des choses qui permettent à la culture d’exister, à un progrès de se manifester, à l’état social de se développer. Par les dogmes il se donne en quelque sorte le spectacle de sa propre activité ; il se représente son action sociale ; il se pense comme être civilisé. Les dieux, peut-on dire, ne sont que les diverses faces de l’homme lui-même, en tant que membre d’un groupe à l’entretien duquel il contribue. Le système des croyances religieuses est l’image de la vie collective : il reproduit, dans ses traits généraux, ce qui perpétue et enrichit cette vie. On peut dire encore que la religion est l’intelligence sociale se représentant les conditions de développement de la volonté sociale : par elle, l’homme prend conscience de ses ressources morales, et s’affirme comme partie d’un tout destinée à promouvoir ce tout ; par elle il reconnaît que son existence a des lois et se rend ainsi capable de les accomplir ; bref, elle est l’idée de l’adaptation, le sens de la civilisation, sens dont les hallucinations sont les mythes.

Si le contenu du dogme est une loi du développement humain, on peut dire que l’objet de la croyance est ce développement même. Quand l’homme prête la réalité à l’image qui remplit sa conscience, il ne fait qu’affirmer sa propre existence comme sujet progressif ; en donnant son adhésion au mythe, il adhère à la loi de son être, et la force avec laquelle il confesse son Dieu est identique à la force avec laquelle il sent la nécessité de son développement intime. C’est donc