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en faire des images qui donnent prise au souvenir. Elles sont d’essence éminemment fugitive ; elles se modifient à chaque instant ; elles échappent de toutes parts à ma conscience, qui ne peut les prévoir ni les fixer.

Les secondes, au contraire, peuvent devenir pour moi l’objet d’une image déterminée ; je puis les concevoir en faisant abstraction de ma personnalité actuelle, puisqu’elles sont, par définition, susceptibles de se manifester entre le milieu et un sujet quelconque, puisque leur existence n’est attachée à la présence d’aucune individualité. Ainsi, des deux sortes de relations qui entrent comme facteurs dans ma vie, ce sont les relations générales et spécifiques qui seules peuvent offrir une matière à ma réflexion et se transformer en croyances. Autrement dit, les conditions de l’adaptation spécifique sont les seules à pouvoir être détachées du cours des choses, fixées dans une image unique et reproduites sous des traits durables. Par suite, les éléments pratiques et subjectifs qui devront former le noyau des religions ne pourront être que des portions de la conduite collective, isolées par abstraction du reste et devenues des termes spéciaux de la pensée.

En résumé, les éléments de la conduite individuelle, répondant à des conditions toujours changeantes, se transforment continuellement eux-mêmes et se succèdent dans un perpétuel devenir ; les éléments de la conduite sociale, au contraire, offrent une stabilité relative, répondant à la stabilité des conditions de développement de l’espèce. Mais l’homme n’agissant jamais que comme personne ou comme partie de la société, ce ne peut être que soit son activité personnelle, soit son activité sociale, qui contienne le fondement pratique dont nous avons besoin. Donc, puisque la première source est écartée, il ne nous reste à puiser qu’à la seconde. Par suite, c’est les dans la conduite collective que se trouvent, en fin de compte, origines des manifestations religieuses. — Ce résultat, obtenu par des voies si simples, est pour nous de la plus haute importance, et il porte en germe toute notre genèse des religions. Nous n’aurons, en effet, pour opérer cette genèse, qu’à prendre pour point de départ les éléments de la conduite collective : nous devrons pouvoir, si nos prémisses sont exactes, en déduire aisément les parties essentielles des religions. Essayons de le faire d’abord pour la partie la plus apparente et la plus accessible, pour le mythe.

Le mythe, on le sait, est l’élément dogmatique de la religion. C’est l’affirmation d’une existence surnaturelle, la conception d’une forme divine, représentée soit absolument, soit dans une situation donnée. Eh bien ! comment, de notre point de vue, pouvons-nous comprendre la création de ces mythes, la formation dans l’esprit de ces images