Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
378
revue philosophique

d’ailleurs, une fois l’édifice achevé, c’est-à-dire une fois la nouvelle adaptation constituée à l’état de mécanisme. L’automatisme pur n’est donc nullement la conséquence de la théorie scientifique de la conscience. Celle-ci, comme on l’a dit, ne se contente pas d’éclairer, elle ajoute ; elle ne signale pas seulement l’activité présente, elle est un élément d’organisation et de direction pour l’activité future. Par la conscience, l’être empiète, pour ainsi dire, sur sa propre vie ; il devient partiellement le maître de sa propre évolution ; il acquiert l’aptitude au progrès. En un mot, créer de nouvelles adaptations au moyen des adaptations préexistantes, voilà ce que fait la conscience, et cela, sans troubler en rien l’action des lois mécaniques et par la seule vertu d’une des applications de ces lois : l’enregistrement des états nerveux dans l’organisme. Retenons ces conclusions, qui, je le répète, nous serviront bientôt.

Nous venons de voir que, pour la science, l’élément essentiel de la vie physique est l’activité, ou la faculté de répondre aux excitations du milieu par des réflexes appropriés, et que la représentation de l’activité à la conscience n’est qu’un élément, utile sans doute, mais secondaire, de cette vie. L’idée, pourrait-on dire, n’est qu’une phase de l’acte la phase pendant laquelle l’acte, ne trouvant pas dans l’organisme un mécanisme approprié, oscille, avant de s’exécuter, entre plusieurs directions. L’inconscient domine donc l’idée de part et d’autre : il lui préexiste comme matière première de l’organisation commençante, il lui survit comme résultat de l’organisation achevée. L’idée est l’accompagnement d’une évolution en cours ; elle marque la naissance et les progrès d’un mécanisme qui se constitue : avant, elle n’est pas encore ; après, elle n’est plus. C’est un moment de l’histoire mentale, ce n’est pas le mental lui-même. Par suite, toute manifestation psychique d’ordre général et qu’on doit regarder comme plongeant ses racines jusqu’aux éléments ultimes de l’esprit, ne peut être expliquée d’une façon adéquate que par des données différentes des représentations conscientes. Si la conscience n’est pas le fond de notre être, ce ne peut être d’elle que proviennent les effets généraux de notre activité. En un mot, la représentation à tous ses degrés, depuis la sensation la plus obscure jusqu’à l’idée la plus abstraite, ne peut servir de base à aucune des branches fondamentales du développement humain. La partie intellectuelle de notre être, n’étant que la forme de nous-mêmes, ne peut expliquer rien d’essentiel en nous. C’est aux éléments matériels, c’est-à-dire actifs ou pratiques, de notre organisation mentale, qu’il faut demander le secret de toutes nos manifestations spécifiques, de tout ce qui constitue vraiment chez nous une habitude sociale. Or, comme la reli-