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sons[1]. » Il s’agit ici d’images qui, évidemment, sont plus abstraites encore que celles qui constituent chez moi la mémoire auditive, et qui même sont abstraites au point de n’être plus reconnaissables et d’être en réalité non plus des images auditives, mais des substituts de ces images. Nous en reparlerons plus tard. J’ai dit les raisons qui ne faisaient rattacher mes images aux images auditives. Je vois dans l’ouvrage de Baillarger un cas où les hallucinations psychiques se transforment en ce que l’auteur appelle des hallucinations psychosensorielles. « Au début de ma maladie, dit une malade, c’est comme si on m’avait communiqué une pensée. On me répétait sans cesse : Tu es une… Je répondais : Vous en avez menti. Tout cela se faisait sans bruit, c’était tout intérieur. Il en a été de même environ pendant trois mois ; mais plus tard cela a changé. Les voix que j’entends maintenant font du bruit, elles viennent de loin et m’arrivent comme si l’on me parlait avec un porte-voix[2]. » Sans doute on pourrait interpréter cette observation en disant qu’il s’agissait d’abord d’images motrices ; mais, sans vouloir nier absolument que les images motrices aient pu jouer un rôle dans la première partie du phénomène, on peut croire également, à cause des raisons indiquées plus haut, qu’il s’agissait aussi d’images acoustiques qui, très faibles d’abord, sont devenues plus fortes avec les progrès de la maladie.

D’autres faits assez nombreux nous montrent l’importance considérable des images auditives pour la représentation des mots ou des sons. Voici un fait assez commun, je crois, et que j’ai souvent remarqué pour mon propre compte, bien qu’il se présente à présent moins fréquemment et d’une manière moins vive que lorsque j’étais plus jeune. Une certaine excitation confuse de l’organe de l’ouïe est favorable au développement des images auditives, elle les rend plus nettes, plus vives, les rapproche davantage des sons extérieurs. Ainsi quand je me trouve près d’une chute d’eau ou dans un train de chemin de fer, ce bruit continu me rend beaucoup plus facile l’imagination vive d’une mélodie. Je crois que bien des gens peuvent avoir observé des faits de ce genre. J’en trouve un à peu près semblable dans les Mémoires d’un nihiliste, de M. J. Pavlofsky, publiés dans un volume des œuvres de Tourgueneff[3]. M. Pavlofsky, poursuivi comme nihiliste, était en prison quand le fait lui arriva. « Pendant le jour, dit-il, je courais de côté et d’autre dans ma cellule, mes pantoufles criaient : ce bruit, par une bizarrerie inexplicable, me rappelait les refrains

  1. Stricker, Études sur le langage et la musique, P. 169.
  2. Baillarger, Ouvr. cité, p. 388.
  3. Tourgueneff, Œuvres dernières, Souvenirs d’enfance.