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dogmes et des cultes, qu’elles soient cosmologiques ou ontologiques, sont en désaccord manifeste avec les lois de l’histoire naturelle, et tendent à faire de la religion un fait biologiquement inexplicable, un développement hors cadre dont la présence générale et la durée deviennent incompréhensibles. Comment, encore une fois, des mythes dont la seule fonction est de donner une forme poétique aux expériences externes, ou de symboliser un objet situé en dehors du monde de l’action, comment des cultes fondés sur ces mythes peuvent-ils contribuer en quoi que ce soit à l’adaptation de l’espèce ? et s’il n’y contribuent en rien, comment peuvent-ils se fixer par l’hérédité et s’ériger en faits spécifiques ?

La religion que nous voulions donner à notre animal hypothétique ne saurait donc être aucune de celles qu’on nous a proposées. Or, la conclusion que nous venons de tirer pour un cas vaut évidemment pour tous. Il n’y a aucune raison pour isoler l’homme du reste des animaux, ni pour assigner à son progrès social des lois autres que celles de l’évolution biologique en général. La civilisation humaine, aux yeux de la science, ne peut être qu’une forme particulière de l’adaptation. Si donc l’homme est ou a été un être religieux, c’est d’une autre façon et en un autre sens que les doctrines courantes ne l’admettent.

Les remarques précédentes vont nous aider à découvrir le nœud du problème, en nous montrant le défaut fondamental des théories examinées jusqu’ici. Ce défaut consiste en ce qu’elles ne semblent pas s’apercevoir que le fait dont elles ont à déterminer l’origine est un fait qui se passe dans certains organismes, et qui doit par conséquent s’expliquer par les lois de ces organismes. Au lieu de chercher en dehors de l’homme, comme elles le font, le point d’appui de la religion, il fallait évidemment commencer par scruter le terrain même sur lequel elle a crû, en fixer la composition avant d’en étudier les produits ; il fallait, au lieu de s’adresser à la physique ou à la métaphysique, s’adresser, comme nous l’avons dit au début, à la psychologie. La religion étant un fait humain, un produit de l’homme qui pense et qui agit, c’est aux lois de la pensée et de l’action qu’on doit en demander l’explication. Quiconque aborde l’étude des religions sans notions psychologiques préalables, n’a pas à sortir du domaine des descriptions et des classifications : la question des origines lui est nécessairement fermée. Autre chose est l’exposition des phénomènes religieux, autre chose la détermination de leurs lois ; le premier problème est l’ordre historique, le second, d’ordre mental. C’est donc du point de vue de la science mentale qu’il doit être posé, avec les ressources de la science mentale qu’il doit être résolu.