Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/377

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
373
LESBAZEILLES. — bases psychologiques de la religion

moins — car la loi, comme nous le verrons, peut perdre sa valeur pour l’avenir — les peuples les plus civilisés ont été en même temps ceux chez lesquels la religion s’est le plus développée. Partout les dogmes et les cultes apparaissent comme des éléments promoteurs de l’évolution sociale. Il faut donc, si nous ne voulons pas rester en face d’un problème insoluble, que nous changions nos positions, et que nous cherchions ailleurs les éléments de la religion.

Reprenons le problème sous une autre forme (il vaut la peine d’y insister), et demandons au lecteur la permission de nous poser la question suivante : Étant donné un animal doué d’intelligence et d’activité, capable de s’adapter indéfiniment au milieu et de créer en lui des relations de plus en plus complexes, répondant aux relations extérieures, en supposant de plus que cet animal doive acquérir une religion, quelle sera nécessairement la forme générale de cette religion, quel rôle devra-t-elle jouer dans la vie de l’être, à quels éléments ultimes pourra-t-elle être réduite ? Pour répondre à une semblable question, ferons-nous la supposition suivante : l’animal, en communication constante avec les objets du milieu, doué d’ailleurs du langage, commencera par donner un nom aux qualités qui l’intéresseront spécialement, isolera ensuite ces qualités de leurs supports et les transformera en entités ; enfin, par un raisonnement d’analogie qui retentira sur sa conduite, traitera comme des personnes les produits de son imagination ? Tout naturaliste éclairé arrêterait aussitôt l’auteur d’une telle hypothèse, et lui ferait observer que ce développement mythique supposé chez l’animal, ne lui fournissant aucun moyen de mieux s’adapter aux choses ni de mieux soutenir la concurrence vitale, serait très rapidement enrayé et s’éteindrait dès les premières générations.

La même objection se présenterait tout naturellement sur ses lèvres si, au lieu de faire la supposition précédente, on essayait de construire la religion de l’animal avec des éléments rationnels et des archétypes platoniciens. Cette superfétation d’idéaux paresseux, cette adoration qui ne s’adresserait qu’à des fantômes et ne mettrait l’animal en équilibre avec aucune réalité, tout cela lui paraîtrait d’une parfaite invraisemblance. Si notre naturaliste voulait à son tour esquisser une synthèse de la religion demandée, il chercherait évidemment à lui donner un caractère tel, que son utilité dans la vie progressive de l’animal fût intelligible, et qu’on pût apercevoir en elle une nouvelle condition de l’adaptation. Comment on peut donner à une religion un pareil caractère, c’est ce qu’il n’est pas encore temps de rechercher. Tout ce que nous avons voulu montrer jusqu’à présent, c’est que les hypothèses ordinaires sur l’origine des