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métaphores, aucune n’en fait ce qu’elle est réellement : une chose concrète et vivante. Elles ne peuvent donc pas ne point paraître quelque peu factices, même aux yeux d’un observateur superficiel. Mais ce n’est pas là l’objection la plus profonde que nous ayons à leur adresser. Leur défaut capital, à nos yeux, est de nature plus générale, et consiste en ce qu’elles tendent à faire de la religion un fait inexplicable au point de vue de l’histoire naturelle, une sorte de non-sens biologique. Nous allons tâcher de le faire voir.

Un des grands principes de la conception scientifique du monde organisé est celui auquel on peut donner le nom de principe d’utilité, et qui forme, pour ainsi dire, le produit de deux facteurs, l’adaptation et la sélection. Voici comment on peut le formuler. Tout organe, toute fonction, tout instinct, en un mot, toute manifestation de la vie ne peut se développer dans une race que si elle offre un avantage quelconque à ses représentants, et la puissance avec laquelle elle s’établit chez eux est exactement proportionnelle à son degré d’utilité. En d’autres termes, puisque la loi génératrice des forces physiques et psychiques est l’adaptation au milieu, puisque rien de stable ne peut se constituer dans les individus ni dans les espèces qu’à la condition de favoriser cette adaptation, tout ce qui ne concourt pas à la produire, directement ou non, est destiné à être éliminé, et devient un développement aberrant qui s’épuise rapidement lui-même. La sélection naturelle, dont l’empire universel sur les êtres vivants ne saurait être contesté, veut donc que tout, dans l’organisme, ait une signification adaptive, et serve, d’une façon ou d’une autre, à le mettre en équilibre avec le milieu.

Or, quelle sorte d’utilité peut-on accorder, à cet égard, aux dogmes et aux cultes conçus d’après les types convenus ? Quelle relation peut-il exister entre une représentation figurative des objets et des forces de la nature et l’adaptation réelle à ces objets et à ces forces ? En quoi le peuple qui conçoit l’agent lumière sous la forme d’un dieu et qui lui rend un culte s’adapte-t-il mieux à l’agent lumière que le peuple qui s’épargne ces frais d’imagination ? ou encore, en quoi la représentation d’un absolu qui n’entre jamais en communication avec nous et reste étranger à la sphère des phénomènes peut-elle faire avancer nos affaires en ce monde ? Loin d’être une condition de culture, la religion ainsi entendue devient un obstacle au progrès, un produit parasitaire, une vraie maladie de l’espèce. Dès lors elle devrait être, semble-t-il, l’apanage des races inférieures et des peuples dégradés ; elle mesurerait exactement le degré de la barbarie, et le progrès de la culture serait en raison inverse de sa propre extension. Or, l’histoire nous montre au contraire que, jusqu’à présent du