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LESBAZEILLES. — bases psychologiques de la religion

par elle est distinguée de son sujet d’inhérence, puis le substantif ainsi formé devient nom propre, c’est-à-dire que la force abstraite devient dieu ; 3o ce dieu est imaginé comme semblable en nature aux personnes humaines et devient l’objet d’un culte.

II. Théorie métaphysique : 1o le point de départ est la notion d’une réalité transcendante, ayant son origine immédiate dans la raison comme faculté distincte ; 2o cette notion prend un caractère concret aux yeux du sujet, composé d’imagination en même temps que de raison, et elle se transforme ainsi en symbole ; 3o ce symbole engendre naturellement un rite en conformité avec sa propre nature, et s’adressant aux éléments contenus dans l’idée primitive.

En un mot, expérience sensible, abstraction verbale, pratique entraînée par cette abstraction, voilà l’esquisse de la genèse religieuse pour la première théorie ; opération rationnelle, intervention de l’imagination, acte en relation avec le produit de deux premiers facteurs, voilà cette esquisse pour la seconde. Dans les deux cas, le point de départ est tout intellectuel, l’activité du sujet n’intervient que comme corollaire et complément de représentations objectives. On suppose que l’homme commence par percevoir ou concevoir, puis imagine, et finalement agit.

Avant d’examiner si un tel schéma peut s’accorder avec les données de la psychologie générale, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer dès l’abord le caractère éminemment artificiel des théories proposées, et d’appréhender par avance qu’une explication reposant sur de telles bases ne soit illusoire. L’hypothèse métaphysique, par exemple, fait commencer l’évolution religieuse par une idée abstraite ; elle suppose, avant toute immixtion de l’imagination et de la volonté, l’affirmation d’un être de raison, c’est-à-dire un acte essentiellement complexe et dérivé, qui implique une foule d’associations préalables. Or, tout le monde sait que le développement mental en général se fait dans le sens de l’induction, c’est-à-dire en allant de la partie au tout, du concret à l’abstrait. Est-il vraisemblable que la religion suive une marche opposée, et prenne pour point de départ ce qui est d’ordinaire le point d’arrivée ? De son côté, l’hypothèse philologique fait dériver les créations religieuses de simples métaphores, de jeux de mots, on dirait presque de quiproquos. Est-ce là une supposition naturelle et conforme au caractère de la science ? Est-il admissible que des institutions ayant joué un rôle tellement important dans l’histoire de l’humanité, aient eu pour origine de pures comparaisons, et reposent, en quelque sorte, sur un amusement du langage ? Bref, l’une des hypothèses fait de la religion un ensemble de conceptions métaphysiques, l’autre en fait un système de