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dans la langue par un adjectif ; substantivant ensuite ces adjectifs, il aurait transformé les qualités en entités, et fait subir aux objets de son intelligence une évolution semblable à celle qu’avaient opérée leurs signes ; enfin, en vertu de la tendance qui le porte à traiter les choses comme des personnes, ou, si l’on veut, par un raisonnement d’analogie qui l’a conduit à voir des forces libres là où il n’y avait que des effets nécessaires, il s’est agenouillé devant ces forces hypothétiques et a adoré ses propres créations.

Qu’il y ait une part de vérité dans ces théories, c’est ce que nous ne contestons nullement. Il est fort vraisemblable, en effet, que l’observation des phénomènes extérieurs ait joué un rôle important dans la formation des mythes, et que le culte ait eu partiellement pour origine des jugements erronés d’analogie. Mais cela suffit-il pour expliquer la religion, pour en découvrir le fond intime et la raison dernière ? Cette genèse empirique n’a-t-elle pas besoin d’être complétée par autre chose ? Les partisans de l’hypothèse rationaliste l’ont cru, et nous le croyons avec eux ; seulement, nous ne pouvons les suivre dans la voie métaphysique qu’ils ont prise.

Ces théoriciens placent, à la base de toute religion, l’idée de Dieu ou d’absolu. Pour eux l’homme est un être essentiellement doué de raison, et dont le développement mental a son point de départ nécessaire dans des conceptions rationnelles. Ce n’est qu’à propos des phénomènes particuliers, disent-ils, que l’esprit humain pense au général ; mais le général préexiste en lui. L’observation des faits de la nature n’a donc pu être que la condition de la création des dieux ; au vrai, l’homme les portait virtuellement en lui-même. Ce qu’il a adoré, ce n’est pas le feu concret du ciel ou de la terre, c’est le feu idéal qui se manifeste par le premier ; ce qu’il a invoqué, ce n’est pas l’être fictif qui réside dans l’objet, c’est le noumène qui est la condition transcendante de cet objet. Ainsi, une notion rationnelle dont l’expérience a fourni la matière, mais qui doit sa forme à une faculté plus haute, puis une figure idéale dans laquelle la notion s’est incarnée pour l’imagination, enfin un culte rendu en apparence à cette figure symbolique, mais qui s’adresse au fond à l’idée dont elle est le vêtement telle est la véritable embryologie des religions.

D’après le court exposé qui précède, on voit qu’on peut distinguer, dans chacune de ces théories, trois divisions ou trois cadres qui sont censés correspondre à trois phases du développement religieux, et qu’elles remplissent respectivement de la manière suivante :

I. Théorie cosmo-philologique : 1o le point de départ est une épithète attribuée à un objet naturel et désignant une de ses énergies ; 2o cette épithète est substantialisée, c’est-à-dire que l’énergie connotée