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contre la tendance à faire de la philosophie une servante de ces sciences, comme elle était autrefois celle de la théologie, n’aurait-il pas dû marquer mieux encore la différence, l’opposition même qui existe entre les deux ordres de recherches ? D’un côté, on n’a pas à tenir compte du sujet pensant ; on se plonge complètement, comme dit notre auteur en parlant de la manière de penser naturelle, dans l’objet senti, on fait abstraction de soi-même ou, si l’on veut se connaître, on se considère soi-même comme un simple objet de pensée. De là cette psychologie dite scientifique et qui s’est, en effet, séparée elle-même de la philosophie. De l’autre côté, au contraire, le sujet pensant n’est plus comme une chose entre les choses. L’acte par lequel il se donne tour à tour les représentations les plus diverses et qui le constitue lui-même sans qu’il soit nécessaire d’invoquer, par delà, je ne sais quelle substance, n’est pas, dans sa vivante unité, l’exemple seulement d’un acte infini auquel il faudrait le rapporter ainsi que tous les phénomènes qui composent notre monde. Il est pour nous la cause dernière de tout ce qui est, le centre vers lequel convergent toutes les réalités apparentes, et ces réalités n’existent que dans la mesure où elles sont connues suivant des lois qui ne sont pas antérieures à l’activité du sujet pensant. Toutes les vérités scientifiques, cette manière de voir leur donnera une valeur philosophique en les transposant, en quelque sorte, c’est-à-dire que chacune d’elles apparaîtra comme l’expression d’une loi de l’esprit se découvrant à lui-même. Supposons, au contraire, à la façon de Spinoza, un acte ou une substance dont nous ne sommes que des modes, c’est non seulement passer du point de vue de la philosophie à celui des sciences, c’est quitter le seul fondement solide sur lequel Descartes, par une vue de génie, et la plus simple pourtant, avait établi le Réel. Que si l’on nous reproche précisément cette conclusion insipide, d’après M. Lotze, et que Fitchte lui-même n’a pas admise, à savoir que le sujet philosophant doit se regarder comme étant lui-même l’unique réalité, nous répondrons, qu’en nous appuyant non pas, comme le veut notre auteur sur ce qui doit être en général (une inconnue) mais bien sur l’éthique elle-même, nous croyons à l’existence d’autres sujets pensants semblables à nous et l’existence de Dieu. Il est vrai que la métaphysique ainsi entendue, ainsi distinguée de la théologie et des sciences, est une méthode encore plus qu’une doctrine. C’est même, si l’on veut, une simple attitude de l’esprit, mais c’est l’attitude qui convient au vrai philosophe, et la répugnance naturelle que provoque l’idéalisme subjectif ne doit pas s’étendre, il me semble, à cet idéalisme méthodique.

A. Penjon.