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PENJON. — la métaphysique de lotze

aurions la tâche de décider quelle réalité doit naître de ces possibilités vides qui cependant ne sont toutes imaginables que parce qu’il existe une réalité d’où cette pensée elle-même tire son origine. » Nous devons nous garder de toutes ces questions déraisonnables qui semblent cependant à beaucoup d’esprits les vraies questions de la métaphysique : pourquoi y a-t-il un monde, et n’en existe-t-il pas plutôt aucun, ce qu’il est également possible de concevoir ? Pour-quoi, s’il existe un monde, sa nature est-elle présisément M, et pas plutôt une autre tirée du vaste domaine des non-M ? et si le réel M existe, pourquoi est-il en mouvement et non en repos ? si enfin il est en mouvement, pourquoi dans cette direction et non en telle autre de préférence ? « Pour toutes ces questions, il n’y a qu’une réponse à répéter : la métaphysique n’a pas à faire la réalité, mais à la reconnaître ; à étudier l’ordre intérieur de ce qui existe, non à déduire ce qui existe de ce qui n’existe pas. Pour remplir cette tâche, elle doit se préserver de la méprise où elle tomberait en regardant les abstractions qui lui servent à fixer pour son usage certaines qualités du réel, comme des éléments constructifs et indépendants qu’elle pourrait employer pour ériger à son tour, par ses propres moyens, l’édifice de la réalité ? »

Ainsi sont écartées toutes les questions d’origine, et la métaphysique se réduit à l’interprétation de ce que l’expérience nous fait connaître. Cette interprétation est l’œuvre de la pensée humaine, depuis qu’elle s’exerce, et ne peut jamais avoir qu’une valeur subjective : « La philosophie, dit M. Lotze, ne signifie pour nous, à partir de ses premiers commencements, qu’un mouvement intérieur de l’esprit humain, dans l’histoire duquel elle a, seule, aussi la sienne ; un effort pour acquérir, dans des limites supposées, à nous-mêmes inconnues, que nous trace notre existence terrestre, une idée du monde en soi concordante, qui nous élève au-dessus de la vie et nous enseigne à nous y proposer des fins louables et à les atteindre ; une vérité absolue qui devrait imposer aux archanges dans le ciel, est un but que nous pouvons manquer sans que pour cela nos efforts soient complètement infructueux. » Cette subjectivité de la connaissance est inévitable. Nous pouvons, il est vrai, renoncer à rien connaître, mais nous ne pouvons jamais remplacer la connaissance mise en doute par aucune autre à laquelle ne s’adresserait pas le même reproche.

Mais est-ce bien alors une idée du monde en soi qu’il faut dire, ou du monde en nous ? M. Lotze, qui a si bien compris que la méthode des sciences positives ne convient pas à la métaphysique, qui a si énergiquement protesté, et avec toute l’autorité d’un vrai savant,