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mêmes, comme nous venons de le voir, que des conséquences, et le vrai commencement de la Métaphysique doit être cherché dans l’Éthique, ou, d’une manière plus générale, dans ce qui doit être.

Ce qui fait, il me semble, la grande valeur du livre de M. Lotze, c’est moins la doctrine qu’il renferme que l’esprit dont il est tout pénétré. À ce monisme, à cette conception d’un monde dont un seul être fait toute la réalité, dans lequel les esprits eux-mêmes n’ont qu’une existence empruntée, intermittente[1], ne sont que des actions de l’Un véritablement existant, « mais des actions ayant pour privilège la merveilleuse et absolument inexplicable faculté de se sentir et de se savoir elles-mêmes comme des centres actifs d’une vie émanant d’elles », on fera toutes les objections accoutumées contre le Panthéisme. Nous avons déjà indiqué la plus grave, à savoir celle que cette doctrine est contradictoire. Il est vrai que nous avons indiqué en même temps la réponse : la Réalité est infiniment plus riche que la Pensée ; ce qu’on regarde comme contradictoire n’est que supérieur aux lois logiques. Peut-être serait-il trop facile de répliquer, sans nier cette richesse de la réalité, que la pensée ne peut pourtant pas s’occuper de ce qui la dépasse elle-même, et que ce qui est supérieur aux lois logiques ne saurait, en aucun cas, être un objet pour elle. Si jamais on consent à admettre une proposition malgré son absurdité, il est impossible désormais de distinguer l’absurde du raisonnable, il n’y a plus de raison.

M. Lotze est cependant un des philosophes qui se sont le plus préoccupés de prévenir les dérèglements de l’imagination et de déterminer l’objet de la métaphysique de manière à réprimer toute velléité de construction a priori. « De ce que le monde existe, dit-il, de ce qu’il est tel qu’il est, et que, par suite, une pensée vit en nous qui peut distinguer divers cas d’une généralité ; de ce que tout cela est ainsi, il peut naître en nous des images et des notions de possibilités qui réellement n’existent pas, et alors nous nous imaginons que, avant toute réalité, nous existons pourtant avec cette pensée, et que nous

  1. « Quand l’âme, dans un sommeil complètement dépourvu de rêves, ne pense, ne sent et ne veut rien, existe-t-elle alors, et qu’est-elle ? On a bien souvent répondu que, si jamais cela pouvait arriver, alors elle n’existerait pas ; pourquoi n’a-t-on pas plutôt osé dire qu’elle n’existe pas toutes les fois que cela arrive. Assurément si elle était seule dans le monde, nous ne pourrions comprendre une alternative de son existence et de sa non-existence ; mais pourquoi sa vie ne serait-elle pas une mélodie avec des pauses, tandis que continue d’agir le principe éternel, d’où découlent, comme un de ses actes, l’existence et l’activité de l’âme ? De cette source elle naîtrait de nouveau, en conséquente connexion avec son existence antérieure, et cela sitôt que seraient finies ces pauses pendant lesquelles d’autres actes du même principe établiraient les conditions de sa nouvelle vie. » Fin de la Psychologie.)