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PENJON. — la métaphysique de lotze

Si maintenant nous nous demandons quelle est la nature du Principe, de ce qui occupe cette place suprême du monde, par quoi tout nouvel état de ce qui existe est la cause productrice d’un autre état qui lui succède, nous nous croyons autorisés, par nos inclinations esthétiques, par analogie aussi avec l’Être un que nous sommes nous-même, à ne pas le considérer comme une action aveugle. Au Principe de toutes choses nous attribuerons, en un degré éminent de perfection, non la simple forme de la vie et de l’activité, mais la dignité de toutes deux et le bonheur que nous éprouvons à les posséder. Ce Principe, cet Infini, nous le concevons comme une Idée qui, se réalisant à chaque instant, constitue le Réel du monde ; mais nous nous garderons d’imaginer un Réel vide et sans caractère, qui n’aurait été destiné qu’à servir de support à ce que nous désignons par le nom général de mécanique mathématique, à ces lois, à ces vérités éternelles évidentes que nous considérons si volontiers comme une fatalité à laquelle tout ce qui est, en fait, aurait à se soumettre. C’est le sens du monde qui est le premier ; c’est de l’Idée qui se réalise que dérivent le besoin de l’ordre et la forme sous laquelle l’ordre nous apparaît. « Exprimées en langage humain, ces lois sont seulement les premières conséquences que le sens vivant et actif du monde en vue du but qu’il se proposait, a données pour bases, et comme prescription générale, au système de toutes les réalités[1]. » Si nous connaissions, comme les idéalistes semblent y prétendre, la teneur complète de ce sens, nous pourrions en déduire « ce que nous pouvons seulement, en nous appuyant sur une conviction générale, essayer de faire remonter jusqu’à lui. »

C’est cette conviction générale que M. Lotze a voulu justifier dans la première partie de son livre, l’Ontologie, tandis que, dans les deux autres, il a fait la tentative d’interpréter ce sens du monde. Mais cette tentative demande un développement de pensées dont la chaîne est trop longue pour qu’on soit jamais assuré de ne pas y laisser se glisser des erreurs. Il aura du moins montré, si l’on veut bien le suivre, la nécessité d’abandonner entièrement la voie de ceux qui cherchent à résoudre des questions métaphysiques par le moyen de constructions mathématico-mécaniques. Quelles que soient, en effet, la valeur de la méthode employée par les sciences de la nature, et la puissance intellectuelle dont témoignent, dans leur domaine, leurs brillants succès, les éléments qu’elles croient pouvoir utiliser comme bases très simples de leurs théories sont bien loin d’être de vrais éléments pour l’explication dernière du monde ; ils ne sont eux

  1. Voy. la Conclusion de la Métaphysique.