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D’après ses partisans, nous aurions tort de croire qu’il n’y a qu’une solution du problème, celle que l’expérience de la vie spirituelle autorise. Pourquoi n’y aurait-il pas d’autres modes d’existence que le nôtre, et qui nous seraient par cela seul inaccessibles. Les choses seraient ainsi des êtres d’un genre particulier, définis pour nous par leurs actes seulement, et sans aucune ressemblance avec ces autres êtres que nous nommons des esprits. Mais il nous est impossible de nous faire aucune idée du genre d’existence qu’il nous faudrait attribuer à ce qui ne se posséderait soi-même en aucune manière comme un être pour soi et n’aurait d’autre rôle que de transmettre, comme intermédiaire, « des actions qu’il ne ressentirait pas, à d’autres, ses semblables, qu’elles n’affecteraient pas davantage, jusqu’à ce qu’enfin, par la communication de ces actions aux êtres animés, il naquît en ceux-ci une image embrassant tous ces faits[1]. » Sans doute, dans la vie ordinaire, nous continuerons à imaginer des choses individuelles, indépendantes, agissant aveuglément mais si nous voulons nous rendre compte de ce que nous imaginerons ainsi, nous en reviendrons à cette vérité métaphysique qu’il n’y a pas d’autre alternative, animer les choses, en quelque sorte, ou leur refuser toute existence propre. Si l’on croit qu’elles sont dépourvues du sentiment d’elles-mêmes, inconscientes, on ne gagne rien à leur attribuer une existence en dehors de l’unique Réalité Toute la fixité, toute la puissance qu’elles manifestent comme forces déterminantes et motrices dans les changements du cours du monde visible pour nous, les choses — conçues comme simples actes de l’Infini — les possèdent absolument et rigoureusement dans la même plénitude ; bien plus, ce n’est que par leur commune immanence dans l’infini qu’elles ont, comme nous l’avons vu, ce pouvoir d’exercer une influence mutuelle qu’elles n’auraient pas comme êtres isolés détachés de ce principe substantiel[2]. »

Ainsi, et c’est la conclusion de l’Ontologie, nous disons des êtres qu’ils ont une existence séparée ou que cette existence leur est refusée, selon leur nature et leur faculté d’agir, c : Ce qui est capable de se sentir et de se manifester comme un Moi, cela mérite d’être désigné comme détaché du Principe général qui embrasse tout, et comme étant en dehors de lui ; ce qui manque d’un tel pouvoir sera toujours, quelque disposés que — par des motifs quelconques — nous soyons à le séparer de ce principe et à le lui opposer, enfermé en lui d’une manière immanente[3]. »

  1. Page 194.
  2. Page 195.
  3. Page 196.