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PENJON. — la métaphysique de lotze

à la multiplicité de leurs états. Il n’a pas manqué de philosophes et de poètes pour soutenir que les choses sont animées, pour leur donner au moins une âme sensitive capable d’éprouver du plaisir et de la douleur : ce serait assez pour en assurer l’existence. Mais rien ne justifie cette hypothèse, et alors cette question se pose : pourquoi donc existerait-il, outre les êtres spirituels et l’Être Un qui est le fondement de ces êtres, « un monde de choses qui n’auraient rien d’elles-mêmes et ne serviraient que comme un système d’occasions ou de moyens pour produire dans les êtres spirituels des idées, ne ressemblant pourtant pas, en définitive, à ces causes dont elles seraient le produit ? » On conçoit, en effet, que la puissance créatrice aurait pu faire naître immédiatement dans les esprits l’image du monde qui devrait être vue, sans prendre le détour de produire un monde qui ne pourrait jamais être vu tel qu’il serait. Il n’est pas difficile non plus d’imaginer que cette force, qui est la même dans tous les esprits, agit « effectivement en eux avec une telle correspondance de ses divers actes que, devant les divers esprits, flotteraient différentes images du monde et non pas la même devant tous, mais ces différentes images dans un agencement tel que tous les esprits croiraient se trouver en différentes places du même monde et pourraient s’y rencontrer pour agir d’accord. » Enfin ces relations des choses, dont nous parlions au début, et qui, suivant l’opinion commune, prouvent le plus leur existence indépendante, les actions qu’elles échangent entre elles, nous les remplacerions « par une dépendance mutuelle d’innombrables actions qui se croiseraient et se modifieraient les unes les autres dans le sein du seul Être véritable ; de sorte que les changements qu’éprouve notre image du monde proviendraient immédiatement, en chaque instant, de la collision de ces actions, laquelle a lieu aussi, et non pas de l’existence de plusieurs principes d’action indépendants qui, en dehors de nous, auraient fait naître ces changements ». L’hypothèse de choses réelles a sans doute l’avantage de rendre plus faciles le langage, l’expression de nos idées et même nos recherches ; mais, au sens métaphysique, les choses ne sont pas des êtres, « mais des actions élémentaires de l’unique principe du monde, liées entre elles d’après les mêmes lois d’action mutuelle que nous admettons ordinairement pour les choses regardées comme existant par elles-mêmes ».

En dehors de ces deux manières de concevoir ce que l’on appelle des choses, de leur attribuer une âme ou de les ramener à de simples phénomènes que la puissance créatrice fait naître immédiatement dans les esprits, il y a une troisième doctrine qui prétend justifier l’idée commune de choses dépourvues du sentiment de leur existence.