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mencement, est partie d’une supposition fausse, et ensuite est obligée, par les problèmes qu’elle doit résoudre, de chercher, par des moyens défectueux, à établir l’idée juste qu’elle aurait dû tout d’abord admettre[1]. »

La doctrine de l’unité originelle de toutes choses n’est pas inférieure à l’opinion contraire pour rendre compte de l’apparence dans le monde de divers degrés d’indépendance, et s’accorde tout aussi bien avec les expériences qui nous attestent ici une vive action mutuelle des choses, là une indifférence réciproque. Ces différences, en effet, ne dépendent pas de ce que « des relations variables, croissant en intensité depuis zéro jusqu’à un point quelconque, rapprocheraient les éléments originellement indépendants ; elles résultent de ce que le sens de l’Unité, qui maintient constamment ensemble ces éléments, leur fait un devoir, en chaque instant, soit d’exercer une nouvelle action mutuelle de nature et d’intensité définies, soit de se maintenir dans leur ancien état, et par conséquent de paraître ne pouvoir agir les uns sur les autres[2]. » Sans doute les choses paraissent, à différents degrés, indépendantes les unes des autres ; mais chaque degré de cette indépendance relative est la conséquence même de leur dépendance vis-à-vis de l’Être un. Et il n’est pas nécessaire d’admettre cette idée, que M. Lotze ne cesse de combattre, que des rapports, qui auparavant n’auraient aucunement existé pour elles, aient jamais pu commencer à s’établir entre les choses.

Mais la principale objection contre cette doctrine du monisme vient de la difficulté de concevoir, même seulement quant à la forme, ce rapport de l’Un et de la pluralité des éléments qu’il tient sous sa dépendance, ou simplement le rapport de l’Un et du Plusieurs. On sait les formules différentes dont se sont servis en tout temps les partisans de cette doctrine : ils ont parlé de modifications de la substance infinie, de ses développements et de ses différenciations, d’émanations et de rayonnements. Les métaphores abondent ; elles expriment bien le désir de résoudre le problème ; elles n’en donnent pas la solution. C’est que le problème est insoluble ; il est impossible de savoir comment s’est établi ce rapport de l’Un et de la foule des êtres finis ; c’est assez que nous soyons forcés de nier l’indépendance de ces êtres ; peu importe que nous ne puissions faire voir la matière de ce lien qui enserre la Réalité. Mais il importe, du moins, que ce rapport n’implique pas contradiction. Or, comment comprendre que

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