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PENJON. — la métaphysique de lotze

hensible action transitive devienne une action immanente. L’action, en effet, désignée par son caractère positif, consiste en ce que la réalisation d’un état est la condition de la réalisation d’un autre état, et nous nous flattons de comprendre cette connexion aussi longtemps que, dans l’unité d’un seul et même être, elle ne produit que le propre développement de cet être. Ce qui nous paraît inconcevable, ce n’est donc pas la causalité immanente, c’est l’action transitive, c’est le fait que ce qui arrive à un être peut être la raison du changement d’un autre être. Or, cette liaison de cause à effet s’impose à nous, et elle nous oblige à considérer les choses comme parties d’un être unique, dépendantes, par suite, les unes des autres, et séparées pour notre manière de concevoir seulement. « Notre précédente idée d’une pluralité d’êtres primordiaux, qui n’en viendraient que plus tard à exercer entre eux de variables actions mutuelles, se transforme en celle d’une pluralité d’éléments dont l’existence et l’essence sont dans une dépendance absolue de la nature et de la réalité de l’Être Un ; dépourvus d’existence pour eux-mêmes, ils sont les membres de cet Être, dont la conservation propre les met tous dans une constante relation de dépendance mutuelle ; à son commandement, auquel ils ne peuvent résister ni prêter une aide qu’ils devraient à leur réalité indépendante, ils se soumettent constamment, de manière que tout l’ensemble du monde produit en chaque moment une nouvelle et identique expression du même sens, une harmonie qui n’est point préétablie[1], mais qui, en chaque moment, se régénère par la puissance de l’Un[2]. »

C’est là, d’après M. Lotze, non pas ce qu’il faut penser pour arriver à comprendre l’action mutuelle, mais ce que nous pensons réellement dès que nous nous faisons une idée claire de ce que nous concevons par cette action. En d’autres termes, il n’est pas nécessaire de deviner ou d’inventer l’unité de tous les êtres dans l’Un, sous la forme d’une hypothèse et comme un expédient pour écarter des difficultés ; l’idée de cette unité est contenue dans le concept d’action mutuelle, et une simple analyse peut l’en faire sortir. Soutenir, au contraire, que les choses sont d’abord des unités différentes et indépendantes les unes des autres, et qu’ensuite elles sont entrées en relation, c’est décrire, « non pas une relation positive ou un fait de la Réalité, mais seulement le mouvement de la pensée qui, au com-

  1. Voy. §§ 63, 64, la critique de l’harmonie préétablie de Leibniz. M. Lotze lui objecte principalement qu’il est impossible de comprendre pourquoi cette harmonie préétablie a été réalisée. Il n’admet pas non plus le déterminisme absolu qui en résulte (Voy. § 65).
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