Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
356
revue philosophique

rences selon certaines conditions. « Une chose réelle n’est que la loi réalisée de sa manière individuelle d’être et d’agir[1]. » Mais c’est un fait psychologique à peu près inévitable, que nous prenons les lois pour un type indépendant et dominateur qui précède les cas de son application, alors que ces lois sont par nous déduites de la comparaison des phénomènes. S’il est cependant une vérité simple et primordiale, c’est que ces lois, qui sont premières, sans doute, dans l’ordre de la connaissance, puisqu’elles nous permettent de calculer un résultat futur comme conséquence de conditions données, ne sont elles-mêmes que l’expression du passé et de la forme particulière sous laquelle, dans ce passé, la réalité nous a apparu. Par un étrange malentendu, au contraire, qui remonte peut-être à une fausse interprétation de la Théorie des Idées[2], à moins que cette théorie ne soit elle-même l’expression la plus brillante de cette erreur nous nous sommes si bien « habitués à opposer au Réel son essence propre comme un modèle extérieur qu’il doit imiter, et à chercher ensuite inutilement des médiations qui réunissent les termes illégitimement séparés, que toute affirmation de leur unité primitive semble porter atteinte à l’exactitude scientifique qu’on ambitionne[3]. » Et nous-mêmes, nous nous exposerions au reproche d’avoir ainsi séparé le Réel de l’Idéal si nous maintenions dans ces termes équivoques la définition de la chose que nous venons de donner. Il ne faut pas dire qu’une chose est la loi réalisée, etc., mais bien, et autant que le langage nous permet d’écarter toutes les idées accessoires dont nous ne voulons pas, que la chose est la loi en tant qu’elle s’applique, un acte s’accomplissant, un acte inséparable de l’être qui l’accomplit, identique à cet être lui-même, « lequel n’est pas un point mort derrière son action ».

II

Des considérations approfondies sur le devenir et le changement, sur la nature de l’action physique, conduisent M. Lotze à l’affirmation qu’il ne peut y avoir une pluralité de choses indépendantes les unes des autres. Le pluralisme originel de notre manière de concevoir le monde doit faire place à un monisme par lequel l’incompré-

  1. Page 80.
  2. V. Ferrier, Institutes of Metaphysics, propos. VI.
  3. Page 83.