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PENJON. — la métaphysique de lotze

qu’elles présentent en un moment donné ; on obtiendrait ainsi ce qui est leur être actuel, τὸ τί ἔστι, suivant l’expression d’Aristote ; on arriverait à la formule τί ᾖν εἶναι, et à cette autre formule qu’Aristote n’a pas ajoutée, bien qu’elle ne fût pas étrangère au cours de ses idées, τί ἔσται εἶναι, en considérant l’ensemble de ces carectères donnés comme la conséquence de ce que la chose était et comme le germe de ce qu’elle deviendra. Mais quelle que soit notre connaissance de l’essence des choses ainsi définie, nous n’en aurions jamais que l’image, et la question est de savoir ce qui fait que cette image ne reste pas image et que ce qu’elle représente vient prendre place dans le monde comme chose réelle.

L’explication la plus naturelle, semble-t-il, et la plus ancienne, est d’imaginer que les choses réelles participent d’une Réalité qui existe antérieurement, comme elles prennent telle ou telle couleur par l’addition d’un pigment quelconque. Mais, ou bien ce Réel qui se communique ainsi pour donner aux qualités la fixité et la consistance d’une chose, a déjà par lui-même telles ou telles qualités, et la question n’est que reculée, ou bien il est pur, simple et indéterminé, et alors il est incapable d’expliquer la variété infinie que le monde nous présente. La notion de ce Réel vide ressemble à celle de l’être pur, avec cette différence cependant, que celle-ci est régulièrement formée comme idée générale, bien qu’elle soit inapplicable tant qu’on n’a pas rétabli les relations dont on avait fait abstraction pour la former, tandis que celle de Réel pur a été faussement formée : « Son contenu suppose toujours un sujet auquel il appartiendrait, et ne peut être sujet lui-même ; par cette raison, on ne doit pas parler substantivement du Réel, mais seulement adjectivement de tout ce qui est réel. Il serait bon que le langage aussi préférât cette plus longue tournure, afin de toujours maintenir vivante la pensée que les choses ne deviennent pas ou ne sont pas réelles par la présence d’un Réel en elles, mais qu’elles ne sont réelles que si elles montrent cette manière d’être et d’agir que nous nommons Réalité[1]. »

Cette manière d’être et d’agir, qui constitue vraiment l’essence d’une chose, se confond avec la loi dont elle est un exemple d’application, elle est cette loi individualisée. La loi, prise dans un sens général, correspond à la notion générale de substantialité ; la notion de substance répond à telle ou telle suite de faits régie par la loi. Le mercure, pour rappeler l’exemple donné plus haut, a sa substance ou sa réalité dans la liaison régulière de certaines formes ou appa-

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