Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
354
revue philosophique

divers phénomènes, serait ébranlé le motif qui nous a déterminés à leur donner, pour appui, des choses comme sujets[1]. » Avec les choses composées de la perception ordinaire, cette difficulté est moins apparente ; elle n’en est pas moins la même au fond.

Nous devons donc nous efforcer de former la notion de la chose, comme le fait l’opinion commune, c’est-à-dire de telle sorte qu’elle implique la variabilité. Nous devons renoncer à éloigner complètement de l’explication du cours du monde la variabilité interne du Réel. Tout au moins appartient-elle à l’essence de ce Réel pour qui le monde extérieur est un objet d’observation ; mais si nous l’admettons ici, il est évident qu’elle cesse d’être impossible pour les éléments réels qui sont à nos yeux comme les supports des phénomènes dans la nature. Peut-être, il est vrai, la notion de choses doit-elle être remplacée par une autre conception. « C’est seulement en cas que les choses existent et doivent servir à faire comprendre le monde, que nous demandons comment alors elles doivent être conçues, et, sur ce point, nous avons donné la réponse que l’être, la chose ou la substance ne peut être que variable : il n’y a d’invariable que les prédicats des choses ; ils changent en elles, il est vrai, mais chacun reste éternellement égal à lui-même ; les choses seules, en admettant et rejetant tour à tour les prédicats divers, se modifient elles-mêmes[2] »

Mais la question subsiste que sont les choses ? On peut sans doute les ramener aux éléments plus simples qui les composent. Comment répondrions-nous si l’on nous interroge sur ces éléments eux-mêmes ? Qu’est-ce que le mercure, par exemple, dont nous aurions trouvé qu’une autre chose quelconque est composée ? Nous ne saurions rien dire de ce qu’il est en soi s’il ne subissait l’influence d’aucune de ces conditions extérieures qui modifient ses qualités phénoménales et le font apparaître sous la forme tour à tour d’un solide, d’un liquide ou d’un gaz, etc. « Généralement, donc, notre idée de l’essence d’une chose consiste en la pensée d’une régularité avec laquelle, dans un cercle fermé d’états, elle se métamorphose d’elle-même ou sous des conditions données, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, ne sortant jamais de ce cercle, et n’existant jamais sans revêtir une des formes que celui-ci lui offre[3]. » Une conception complète enfermerait même l’histoire passée et future des choses. On les définirait provisoirement par l’ensemble de tous les caractères

  1. Page 55.
  2. Page 63.
  3. Page 66.