Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/357

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
353
PENJON. — la métaphysique de lotze

pour embarrasser ceux qui connaissent le véritable objet de la métaphysique. Elle ne se propose pas, en effet, de découvrir comment la réalité a été produite, « mais comme quoi elle doit être pensée, alors que, d’une manière incompréhensible, elle existe ». Et ce passage est assez important pour que je continue la citation : « Nous n’avons pas à faire le monde, mais à ordonner nos conceptions selon l’ordre des faits que, achevé sans nous, il nous présente. Si donc il y a de la contradiction dans l’idée d’une action créatrice[1] qui, ne faisant que successivement son œuvre, aurait posé les choses dans des rapports mutuels, rien de contradictoire n’entre dans cette autre pensée qui, sans soulever aucune question d’origine, regarde les éléments du monde donné comme éternellement liés ensemble par des relations réciproques, et comme ne possédant qu’en ces relations ce qui fait différer leur être du non-être[2]. »

Ces éléments, que sont-ils en eux-mêmes ? L’opinion commune regarde les choses comme essentiellement changeantes ; elle ne les confond pas avec les qualités qu’elles revêtent et qui sont « comme un approvisionnement de matières prédicatives, dans lequel chaque chose peut choisir celles qui lui conviennent pour l’expression de ses caractères[3]. » Sans doute, si une qualité était un objet invariable de notre connaissance, nous n’aurions aucune raison pour chercher derrière elle un sujet auquel elle appartient, et, dans le langage, à l’idée de qualité ne s’attacherait pas inévitablement l’idée d’un sujet extérieur qui lui sert d’appui. Mais on ne peut supposer un sujet fixe des variations que présentent les qualités, comme le font certains philosophes, et aussi les savants qui prétendent expliquer les divers phénomènes avec des rapports variables entre des éléments invariables. Si ces éléments sont, en effet, vraiment invariables, il est impossible de concevoir la variété des rapports qui s’établiraient entre eux, et même de concevoir aucun changement. Imaginez des éléments existant par eux-mêmes et déterminés par une qualité a parfaitement simple : « Le simple, quand il change, change complètement, et, quand a est devenu b, il n’est resté rien sur quoi l’être pût se retirer comme sur un noyau stable ; il n’y aurait qu’une série a b c d’êtres divers, l’anéantissement de l’un et la naissance de l’autre, et, par cette suppression de toute continuité entre les

  1. « Einer schaffenden Position. » Ce mot Position, que M. Duval reproduit avec raison dans son excellente traduction, est expliqué d’autre part dans le texte. Pour plus de clarté, je le remplace ici par un synonyme.
  2. Page 40.
  3. Page 51.