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aurait disparu du monde entier, « les choses resteraient encore entre elles dans les rapports qu’elles soutenaient, quand elles étaient objets de perception ; chacune aurait encore son lieu dans l’espace ou y changerait de position ; chacune continuerait de subir des influences de la part des autres choses et d’en exercer sur d’autres ; dans ces relations et ces actions mutuelles subsisterait encore ce qui autoriserait les choses à s’attribuer une véritable existence indépendante de nous, et nous autoriserait à la leur reconnaître[1]. » Ce sont donc les rapports qui garantissent cette existence. Dira-t-on que la réalité de ces rapports a besoin d’être elle-même garantie, qu’ils sont peut-être purement imaginaires, et que l’existence des choses n’est alors que concevable ? Ce serait demander la solution d’un problème contradictoire. Pour expliquer l’origine de la réalité donnée, il faut supposer cette réalité elle-même. « L’opinion commune a évité ce cercle vicieux, et elle n’en commet pas de son côté un autre en fondant la réalité de l’existence des choses sur la réalité supposée de leurs relations entre elles. Car enfin elle ne pouvait avoir en vue d’analyser ou de construire la conception la plus générale qu’il y ait, celle de la Réalité ; supposant plutôt que, seule, la sensation vive nous peut à la fois interpréter et témoigner ce que nous désignons par ce nom, elle devait se borner à faire voir comment l’existence des choses, comprise dans cette merveille de la Réalité, dépend ou diffère de ce que la même Réalité comprend également de l’existence des rapports et des événements[2]. » Bien plus, l’opinion commune, en posant l’existence des choses dans celle des rapports, est plus près de la vérité que la spéculation qui cherche l’être pur. Quel est, en effet, le plus sérieux argument en faveur d’une existence des choses qui repose absolument sur elle-même et qui précède celle des rapports pour leur servir de fondement ? C’est précisément que toute relation suppose, pour exister, les termes corrélatifs qu’elle doit unir. Remarquons d’abord que si l’être est vraiment pur, s’il est vraiment affranchi de tout rapport, il se confond avec le non-être. C’est par abstraction seulement que nous pouvons concevoir cet être identique à rien. Si nous voulons atteindre la Réalité, il semble bien que nous ne devons pas nous écarter de la manière de voir naturelle. Mais si une chose ne peut être qu’autant qu’elle est en relation avec une autre, ne faut-il pas que celle-ci existe d’abord, et avant celle-ci, une troisième pour une raison pareille, et ainsi de suite à l’infini, ou en cercle ? Des. difficultés de ce genre ne sont pas

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