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bien des termes corrélatifs dont on a pu jusqu’ici laisser indéterminée la nature sans qu’on fût empêché par là d’y appliquer le calcul, et qui serait peut-être, à un moment donné, indispensable aux sciences elles-mêmes pour leur permettre de faire de nouveaux progrès, pourquoi ne serait-elle pas comme une dernière tournure donnée aux connaissances expérimentales ? Les sciences seraient ainsi chargées de produire une nouvelle métaphysique, et la tireraient d’elles-mêmes, sans être réduites à se ranger sous la bannière d’une métaphysique déjà constituée. Certes, le sens philosophique n’est pas le privilège d’une caste ; mais à la diversité des problèmes correspondent des procédés différents et différentes manières de penser ; on est mal préparé à aborder la spéculation par la culture exclusive d’un domaine restreint, et il est à craindre que les tentatives des savants en philosophie (il y en a déjà des exemples) ne donnent de tristes résultats.

Ce n’est pas qu’on doive appliquer à cet ordre de recherches la dialectique des idéalistes ; elle n’a qu’une valeur logique[1]. On ne peut pas davantage trouver un fil conducteur dans une théorie des catégories, quelle que soit l’habileté avec laquelle on confectionne. « ces jouets philosophiques[2] ». Il n’est pas non plus nécessaire d’entreprendre une exploration préalable de la connaissance, « de se livrer à des considérations générales sur les facultés de connaître dont on pourrait se servir si on le voulait sérieusement : … l’incessant aiguisage des couteaux est ennuyeux quand on n’a devant soi rien à couper[3]. » La pensée humaine a fait, depuis des siècles, assez d’expériences, pour qu’on puisse au moins essayer de se rendre un compte succinct de ce qu’elle doit affirmer, sans s’arrêter à la considérer indéfiniment en elle-même : « Ce n’est point la psychologie, quel que soit l’intérêt qu’elle mérite comme domaine particulier de recherches, qui peut être la base de la métaphysique, mais bien celle-ci de celle-là[4]. » Et en métaphysique la seule méthode consiste « en cette réflexion qui, partant des idées que nous nous faisons sur la nature et la construction du Réel, les compare incessamment entre elles et avec toutes les conditions d’après lesquelles il nous est possible de juger de leur justesse, puis cherche ensuite à remplacer les contradictions et les imperfections remarquées par de meilleures appréciations[4]. »

  1. Page 19.
  2. Page 22.
  3. Page 14.
  4. a et b Page 16.