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PAULHAN. — le langage intérieur

sentation des mots et du langage intérieur ; en revanche, les preuves ne manquent pas pour établir que, si elles ne sont pas suffisantes, elles sont encore moins nécessaires. Je suis porté à croire, comme je l’ai indiqué, qu’aucune des trois mémoires visuelle, auditive et motrice n’est absolument et généralement indispensable. Pour la mémoire visuelle, cela n’est point douteux. On n’a jamais remarqué que les aveugles-nés eussent, pour acquérir le langage, une peine égale par exemple à celle des sourds. Les maladies mentales nous montrent aussi que l’oubli du mot écrit comme signe, la cécité verbale n’emporte nullement avec elle, d’une manière fatale, la perte de la représentation des mots. Kussmaul[1] rapporte une observation de Broadbent d’après laquelle un malade « voyait le texte écrit, mais ne le comprenait pas alors qu’il pouvait encore écrire avec facilité ce qui lui était dicté, ou même écrire spontanément. La conversation était bonne et son répertoire très riche… » Il est inutile d’insister sur ce point.

§ 2. Images auditives. — Les images auditives sont, avec les images motrices, les plus importantes pour l’exercice de la parole intérieure. L’observation par le moyen du sens intime en révèle généralement l’existence dans le fait de la parole intérieure. La plupart des auteurs[2] qui se sont occupés de ce phénomène lui ont assigné un rôle important dans sa production ; ceux mêmes qui ne s’en sont pas spécialement occupés en ont parlé implicitement en bien des cas, comme de la source la plus importante de nos représentations de mots. Toutefois, comme dernièrement on a contesté l’importance des images auditives, et que l’on a tenté de faire de la parole intérieure un phénomène purement moteur[3], il convient d’insister un peu ici sur les images auditives. Nous aurons l’occasion plus tard, en parlant des images motrices, de faire la contre-épreuve et de montrer qu’elles n’ont pas pour la représentation des mots toute la valeur qu’on a voulu leur attribuer.

Pour les sensations auditives, nous pouvons consulter d’abord le témoignage du sens intime. Je citerai d’abord quelques mots de M. Egger, chez qui la parole intérieure paraît avoir naturellement un assez haut degré de vivacité. « La parole intérieure, dit M. Egger[4], a l’apparence d’un son, et ce son est celui que nous nommerons parole ou langage… » et l’auteur retrouve dans la parole intérieure

  1. Kussmaul, Ouvr. cité, P. 230.
  2. Voir le ou les articles de MM. V. Egger, Charlton Bastian, de Watteville, Kussmaul, Féré, etc.
  3. Voir Stricker, Études sur le langage et la musique, trad. franç., Paris, Alcan, 1883.
  4. V. Egger, La parole intérieure, p. 67 et suivantes.