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sensibilité, on verra le progrès, ou du moins la possibilité du progrès, s’ensuivre naturellement, sans nulle autre intervention supérieure.

Encore une fois comment l’homme, sa nature étant donnée, comment, ayant été fait intelligent et libre, ne serait-il pas perfectible, et comment de la perfectibilité de l’individu ne résulterait-il pas une certaine perfectibilité de l’espèce, c’est-à-dire du genre humain en tout ou en partie ? À proprement parler, il n’y a pas de loi du progrès s’imposant à l’homme comme la loi de la gravitation à la pierre qui tombe, mais il y a dans l’homme, ce qui n’est pas la même chose, une faculté du progrès. En quoi consiste cette faculté, et faut-il lui faire une place dans les théories des facultés de l’âme des phychologues anciens et modernes ? Nous ne nous flattons pas d’avoir découvert quelque faculté nouvelle jusqu’à présent inconnue. Cette faculté du progrès n’est ni simple ni primitive : elle est la résultante en quelque sorte de toutes ses autres facultés, de sa nature tout entière. Le progrès découle avant tout de la raison, par où j’entends l’ensemble des facultés intellectuelles, puis de la faculté du langage, puis enfin de la volonté ou de la liberté qui ne se sépare pas de l’exercice de ses autres facultés.

Se peut-il en effet qu’étant ainsi doué, l’homme n’ajoute des idées à des idées, qu’il ne les rectifie tôt ou tard les unes par les autres ; qu’il ne les conserve, qu’il ne les accumule en même temps que par le langage et la tradition il les transmet à ceux de son temps et à ses successeurs ici-bas qui, à leur tour, les feront passer, non sans y ajouter quelque chose, à leurs héritiers ! Nul, je crois, n’a contesté la justesse de la fameuse comparaison de l’humanité avec un homme qui va toujours grandissant et s’instruisant à travers les âges.

L’individu étant doué de la faculté du progrès, il suit bien qu’il est perfectible, mais non qu’il se perfectionne nécessairement. Par là même que le progrès dépend de lui, il peut ou le réaliser dans la mesure de ses forces, de son intelligence et de sa bonne volonté, ou bien il peut se détériorer au lieu de s’améliorer. Lui seul en a tout le mérite, lui seul il en a toute la responsabilité.

Il en est des nations et de l’humanité comme des individus. Composée d’individus perfectibles, l’humanité doit ou plutôt elle peut aller elle-même en se perfectionnant. De la perfectibilité dans les individus résultera aux mêmes conditions, et sans plus de fatalité, la perfectibilité dans l’espèce qui hérite de tout et au sein de laquelle rien ne se perd en fait d’idées utiles, d’inventions et de découvertes.

La cabane de l’homme primitif, ignorant et grossier, et la peau de bête qui le couvre, ses armes de guerre, la nécessité où il est de vivre en troupe pour se défendre contre les tribus ennemies : voilà