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BOULLIER. — y a-t-il une philosophie de l’histoire

plus hautes généralisations auxquelles des esprits éminents se sont élevés dans chacune de ces sciences.

En ce sens, nous admettons une philosophie de l’histoire tout comme une philosophie de la chimie. Mais cette philosophie de l’histoire, semblable à celle de toutes les autres sciences, ne sera que l’ensemble des vues ou des lois les plus générales sur la suite et l’ensemble du cours des événements humains, avec des inductions sur l’avenir fondées sur l’observation du passé. Elles n’ont d’autre origine que l’observation comparée des temps et des peuples. Quant à la cause ou la raison suffisante elle s’en trouve à l’avance dans la nature de l’homme, dans ses facultés, ses passions et ses idées.

Voyons, maintenant, parmi ces généralisations, quelles sont celles qui méritent plus particulièrement de faire partie du domaine de l’histoire de la philosophie. L’embarras serait grand de tracer une ligne de démarcation entre celles qui appartiennent à l’histoire proprement dite et celles qui sont le propre de la philosophie de l’histoire. Où ranger, par exemple, les Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains, de Montesquieu, pour ne parler que de lui ?

III

Pour ma part, j’ai beau chercher dans les systèmes compris sous le nom de philosophie de l’histoire, je n’y trouve rien qui soit clair, plausible ou susceptible de démonstration, si ce n’est ce dont le simple historien puisse se faire honneur sans faire intervenir une philosophie particulière. Il n’y a qu’une seule loi, celle du progrès, non pas qu’elle soit d’une origine et d’une nature particulière comme nous allons le voir, mais en raison seulement de sa plus grande généralité qui pourrait prétendre à prendre place dans ce domaine trop sublime de la philosophie de l’histoire. Au-dessus de toutes les lois auxquelles les anciens et les modernes ont tenté d’assujettir les mouvements de l’humanité, au-dessus de tous les cycles, de toutes les alternances, de tous les flux et reflux, de toutes les lignes droites ou brisées, en spirale ou en zigzag, de tous les rythmes, itus reditusque, comme dit Pascal, corsi e recorsi, comme dit Vico, il n’y a que cette seule loi du progrès qui, pour ainsi dire, surnage, pourvu toutefois qu’on la débarrasse des erreurs, des visions qui la compromettent, qui la faussent, qui la rendent ridicule ou dangereuse. Dans cette idée seule du progrès se fait l’accord de la plupart de ceux qui écrivent aujourd’hui sur la philosophie de l’histoire.