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ces lois. Il y a des lois en histoire quoique moins précises que dans les sciences physiques, et quoiqu’elles n’aient pas le même caractère de certitude à cause de la liberté humaine dont l’intervention peut toujours plus ou moins déconcerter les prévisions et troubler les calculs. Quelles sont ces lois et quelle méthode suivre pour les découvrir ? Cette méthode est la même que celle dont on se sert dans les sciences expérimentales. Il s’agit d’abord d’observer les faits, avec la seule différence qu’il faut observer plus longtemps et en plus grand nombre les faits humains que les faits physiques à cause de leur instabilité et de leur plus grande complexité.

Sur une seule observation bien faite, on peut affirmer que le même phénomène physique ou chimique se reproduira dans les mêmes circonstances. Combien serait téméraire l’affirmation d’un pareil retour dans les événements humains, d’après ce qui est arrivé une seule fois chez tel ou tel peuple et dans telles ou telles circonstances. Ici, la spontanéité et la liberté, jointes à bien d’autres causes ou circonstances, peuvent déjouer toutes les prévisions. Ce n’est pas à dire qu’aucune généralisation n’est possible dans l’ordre des faits historiques, mais il y faut plus de temps, plus de soins, plus de faits et plus de circonspection pour dégager les ressemblances du sein des dissemblances.

Des généralisations de ce genre plus ou moins justes, plus ou moins importantes, se rencontrent non seulement chez les pères de la philosophie de l’histoire, mais chez tous les historiens qui ont réfléchi sur l’enchaînement, sur les effets et les causes des événements dont ils faisaient le récit. De là des maximes générales, quelques-unes devenues presque vulgaires, sur les diverses espèces de gouvernement, sur leur succession, sur les causes de la grandeur et de la décadence des États, sur le retour des mêmes effets par les mêmes causes, sur l’influence du climat, des institutions, des races et des mœurs. Pour nous, ces lois de l’histoire ne sont ni des déductions a priori d’un plan providentiel du monde, ni même des inductions qui nous le révèlent en nous faisant pénétrer dans les volontés divines. Ce ne sont que des généralisations entièrement semblables à celles de toutes les sciences expérimentales, quand même elles s’étendraient à l’humanité tout entière.

D’ailleurs, ce n’est pas l’histoire seule qui a ce privilège d’avoir pour ainsi dire à son sommet une philosophie propre. Il n’y a pas de science, physique, chimie, histoire naturelle, mathématiques et même économie politique, qui ne donne ce beau nom de philosophie à quelques-unes de ses spéculations les plus élevées. Que sont toutes ces philosophies spéciales ? Rien de plus que l’ensemble des