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BOULLIER. — y a-t-il une philosophie de l’histoire

astres, il a déterminé à l’avance la marche de l’humanité, comme il a fixé celle des planètes. Voilà sa providence, et cette providence est fatale pour l’humanité comme pour les corps célestes ; mais elle l’est d’une autre manière, car, loin de compromettre la liberté de l’individu, elle la suppose et n’a lieu que par elle. » La pensée de Jouffroy est la nôtre ; toute cette étude en sera le développement.

Nous ne supprimons pas l’action providentielle, mais nous la reportons à l’origine même des choses, hors de la mêlée des nations ; nous la reportons à la constitution même de l’homme qui est son œuvre. Dieu, en un sens, est dans l’histoire, mais il y est par l’intermédiaire de l’homme, il y est à travers l’homme, pour ainsi dire, et non directement. En vérité, nous ne voudrions pas pour son honneur qu’il y fût d’une autre façon. Si l’historien Bunsen met Dieu dans l’histoire, selon le titre même de son ouvrage, il l’y met au sens que nous venons de dire, en tant, suivant son expression, que la personnalité humaine est le grand levier de Dieu dans l’histoire. Vico avait dit dans le même sens : Le monde des nations a été fait par les hommes, et on doit en chercher les principes dans les facultés de l’entendement humain. Si les hommes ont fait les nations, ce ne sont pas les hommes qui se sont faits eux-mêmes avec leur nature, avec leurs tendances, avec leurs facultés. Il faut ici reprendre et répéter le vieil adage : Natura est vis ad Deo insita. Mais cette nature une fois donnée, tout dès le commencement, dès le premier homme, suit et se développe ; et tout aussi s’explique dans le cours de l’histoire, le bien comme le mal, les pas en avant comme les pas en arrière. Les nations, de même que les individus, font leur destinée. Elles en portent la responsabilité ; elles ne doivent pas s’en prendre aux dieux de leurs fautes et de leurs défaillances, de leurs défaites, de leurs décadences, pas plus, d’ailleurs, que de leurs progrès, de leurs victoires et de leur prospérité. Il n’y a rien dans le monde de l’humanité qui ne soit naturel au sens que nous venons de dire, rien qui ne dérive des lois de notre intelligence, de la suite de nos idées, rien qui ne dépende de l’usage bon ou mauvais de notre liberté, rien en un mot qui ne soit humain, comme il n’y a rien qui ne soit divin si l’on remonte jusqu’à l’auteur de la nature humaine.

II

Ce n’est pas à dire que les faits historiques aillent au hasard, qu’ils n’aient pas des lois et qu’il ne puisse y avoir une science légitime de