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nité. Telle est, par exemple, l’Histoire universelle de Bossuet, dont la critique n’est plus à faire. Ces plans de la marche des choses humaines, que la philosophie de l’histoire a la prétention de nous révéler, sont tous conçus a priori sous l’influence de quelque religion ou de quelque système dominant de philosophie. Quelle contrainte, quelle violence leurs auteurs ne font-ils pas subir à la suite et à l’interprétation des faits historiques pour les faire rentrer dans leurs cadres préconçus et pour les accommoder aux desseins qu’ils prêtent à la providence !

Ils sont nombreux d’ailleurs, même en dehors des penseurs et des philosophes, ceux qui se permettent d’expliquer de la sorte, avec moins de réserve, comme aussi moins de respect pour la providence, les événements passés et surtout les événements contemporains. Combien dans tous les rangs de la société, depuis les plus élevés jusqu’aux plus humbles, font sans le savoir de la philosophie de l’histoire en mêlant Dieu à leurs grandes et à leurs petites affaires !

Sans même faire descendre si bas et dans un si grand détail les volontés divines, que de difficultés ne rencontre pas l’idée d’un plan immuable appliqué à l’histoire, non moins diverse et ondoyante que l’homme lui-même ! À quelles objections n’exposent pas la providence ceux qui la font trop particulière et trop immédiate dans les choses humaines, même en laissant de côté les deux grands problèmes de l’existence du mal et de la liberté ! Nous ne rappelons pas tant d’objections et de railleries trop faciles, comme aussi tant d’apologies maladroites et compromettantes. Ce sont aujourd’hui des lieux communs qui ne méritent plus qu’on s’y arrête.

Qui considérera sans nul parti pris la marche du genre humain devra y mettre beaucoup de bonne volonté pour découvrir la marque d’une sagesse suprême qui la règle et la conduit. Nous voyons bien que l’homme s’agite, comme l’a dit Fénelon, mais nous ne voyons pas aussi clairement que Dieu le mène. Est-ce nier qu’il y ait un auteur premier de toutes choses, ni même une providence que de se refuser à lui faire jouer un rôle indigne d’elle ?

Nous admettons une providence, mais au sens que lui donne Jouffroy dans ses Réflexions sur l’histoire de la philosophie, qui nous semblent ce qui a été écrit de plus sage et de plus vrai sur cette grande question d’histoire, de philosophie et de théologie. Voici ce qu’il dit à propos de la providence de Bossuet. « Le mot était bon, mais non dans le sens d’une intervention actuelle de Dieu. Dieu n’intervient pas plus actuellement dans le développement de l’homme que dans la marche du système solaire. Et cependant il en est l’auteur. En donnant des lois à l’intelligence humaine, comme il en a donné aux