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société de psychologie physiologique

sorte d’état hypnotique latent, larvé pour ainsi dire, où il y aurait conservation de la conscience, intégrité de la sensibilité et de tous les sens, mais avec un commencement d’automatisme, cet automatisme étant le premier pas fait dans l’état somnambulique.

Nous avons donc, je crois, dans ces cas, affaire à un premier degré tout à fait rudimentaire d’hypnotisme. C’est la première phase, pour ainsi dire, phase qui passe inaperçue quand on ne se livre pas à une minutieuse investigation.

Mais la difficulté n’en reste pas moins grande. Comment peut-il se faire, en effet, que sans aucune manœuvre extérieure, sans contact des mains ou des pouces, sans passes, alors que jamais sur ces personnes on n’a fait des tentatives pour provoquer le sommeil, alors qu’il n’y a aucun état névropathique, comment, dis-je, peut-il se faire qu’il survienne un premier état hypnotique ?

C’est une question qui est tout entière à résoudre, d’autant plus qu’il s’agit là d’un état physiologique, non pathologique, et qu’il semble que ce soit un phénomène, sinon fréquent, au moins ordinaire, si j’en juge par mon expérience personnelle.

Je noterai dans ces expériences de suggestion un détail psychologique assez curieux, sur Mme V… en particulier. Tantôt, comme elle-même le disait, l’expérience réussit, tantôt elle ne réussit pas. Ainsi je lui dis : Vous ne vous laisserez pas donner la main par M. A… » Alors M. A… s’approche et essaye de lui donner la main. Mme V… la lui donne sans effort et me dit : Ça n’a pas réussi, recommençons. Alors, une seconde fois, je recommence à lui dire que, définitivement, la main de M. A… devant lui faire une impression pénible, elle ne doit pas se laisser toucher par lui. M. A… approche, et alors Mme V… se jette brusquement en arrière, en me disant : Cette fois cela a réussi. » Et elle s’amuse du spectacle qu’elle se donne ainsi à elle-même.

Il en a été de même chez d’autres personnes ; tantôt on échoue, tantôt on réussit, et cela vraiment sans qu’on sache pourquoi on a échoué ou pourquoi on a réussi. C’est surtout facile à voir quand on fait compter tout haut, et quand on empêche la personne sensible de continuer cette numération, Rarement on réussit la première fois, et même après qu’on a réussi une ou deux fois il arrive souvent que la personne qui compte puisse, reprenant possession d’elle-même, ne pas se laisser arrêter par une suggestion.

Il est enfin un autre phénomène psychologique qui mérite d’être noté. Le voici dans toute sa simplicité :

Je dis à Mme V… : « Voici de l’eau qui est très amère, essayez de la boire. » Elle me dit : « Je sais parfaitement que l’eau n’est pas amère, » et elle porte le verre à ses lèvres ; mais elle ne peut se décider à y goûter, et fait d’étonnantes grimaces, comme s’il s’agissait vraiment d’une solution nauséabonde. Enfin, après deux ou trois minutes d’hésitation, sur toutes les instances de toutes les personnes qui sont là, elle se décide à boire, non sans nouvelles grimaces. Eh bien, lui dit-on, pour-