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DE QUELQUES PHÉNOMÈNES DE SUGGESTION SANS HYPNOTISME.[1]

Ayant observé, je pense, le premier cas de suggestion sans hypnotisme[2], et, depuis, en ayant publié quelques autres[3], je viens apporter de nouveau quelques documents à l’appui de ce phénomène.

Il est certain que l’hypnotisme et le somnambulisme développent d’une manière extraordinaire l’aptitude à la suggestion ; mais, en dehors de ces états, alors que n’est faite aucune manœuvre de cet ordre, on peut très bien constater des faits évidents de suggestion.

De plus, ce n’est pas seulement sur des malades, des hystéro-épileptiques ou des hystériques que les suggestions sont efficaces, c’est sur de jeunes hommes ou des femmes d’intelligence tout à fait normale et rassise, n’ayant même aucune trace d’une affection névropathique quelconque.

Sur huit personnes diverses[4] (outre les trois cas indiqués dans mes publications antérieures) j’ai pu démontrer cette suggestion sans hypnotisme.

C’est donc, selon moi, un fait avéré, que, dans certaines conditions, certaines personnes peuvent momentanément perdre une partie de leur volonté consciente. C’est en quelque sorte une aboulie passagère, plus ou moins marquée, suivant les personnes ; allant en augmentant, au fur et à mesure que les expériences se multiplient ; mais arrivant très vite, chez la même personne, à un certain degré qui ne peut pas être dépassé[5].

Ainsi, pour donner un exemple, je dis à Mme R… : Prenez cette fleur, et ne la laissez prendre à personne. Et alors, quoi qu’elle fasse effort pour la donner, elle ne peut pas la lâcher, et, quand on veut la prendre, elle se détourne, presque malgré elle, afin de la soustraire aux personnes qui veulent la saisir.

Nous ignorons complètement sous quelles influences se développe cet automatisme presque ridicule. Est-ce l’imagination qui fait perdre ainsi la volonté ? Vouloir, c’est pouvoir, a-t-on dit. Peut-être croire qu’on ne peut pas est-ce l’équivalent de l’impuissance ?

Cette hypothèse me paraît bien insuffisante. Je croirais plutôt à une

  1. Séance du 30 novembre (M. Charcot, président).
  2. Bulletin de la Société de Biologie, Janvier 1882, p. 21.
  3. L’homme et l’intelligence, 1883, p. 523, et Bulletin de la Société de Biologie, 11 octobre 1884, p. 553.
  4. Un jeune homme de quinze ans, un jeune homme de vingt ans, six femmes de quarante-cinq ans, de quarante ans, de trente-cinq ans, de trente, vingt-huit et vingt-six ans.
  5. On peut comparer cette éducation à celle qui a lieu pour certains jeux ou certains exercices du corps, pour l’escrime, la nage, le jeu de billard, le jeu d’échecs, etc. Très vite on arrive à une certaine force, qui est personnelle à chaque individu, et qui, rapidement atteinte, ne peut plus être dépassée, sinon au prix de longs et persévérants efforts.