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société de psychologie physiologique

Je le répète, cette action paraît à première vue très invraisemblable ; toutefois, il n’est pas besoin pour l’expliquer de recourir à des hypothèses nouvelles ; car l’autosuggestion et l’attention expectante peuvent à la rigueur suffire pour en donner la raison.

Je dis à un sujet hypnotisé : « Attention ! je place derrière vous une substance toxique. Vous allez me dire ce que vous éprouvez. » Il n’est vraiment rien d’étonnant à ce qu’elle éprouve — ou croie éprouver, ce qui est à peu près la même chose — des effets très intenses. L’expérience, faite ainsi, si merveilleuse qu’elle paraisse, n’est pas très concluante, et il faut recourir à une autre méthode, si l’on veut entraîner la conviction que les substances solides, non volatiles, agissent à distance sur l’organisme des individus hypnotisés.

En outre, pour être absolument sûr que c’est bien la substance même qui agit, il faut écarter aussi l’hypothèse de la suggestion mentale ; autrement dit, il faut que l’opérateur ignore absolument la nature de substance qu’il fait agir sur la personne hypnotisée. Nous croyons donc nécessaire de ne pas tenir compte des phénomènes banaux d’excitation ou de stupeur qu’on observe dans ces conditions, et de ne s’attacher qu’aux effets spécifiques, pour ainsi dire, et caractéristiques de chaque substance. En un mot, il faut pouvoir faire, d’après le tableau symptomatologique, le diagnostic de la substance agissante.

Je l’ai essayé dans sept expériences, et il m’a semblé en effet pouvoir faire ce diagnostic (six succès sur sept expériences).

Je ne veux pas encore donner le détail de ces faits ; ils sont trop invraisemblables (comportant d’ailleurs une certaine cause d’erreur que je compte bientôt déterminer) pour qu’on les affirme sans en être absolument certain. J’indique seulement la méthode employée, méthode qui me paraît pouvoir seule établir la certitude d’une action à distance, en dehors de l’autosuggestion, de la suggestion mentale, et de l’attention expectante.

1o L’opérateur doit ignorer la nature de la substance qu’il fait agir.

2o Il faut qu’il fasse le diagnostic d’après le tableau symptomatologique, offert par le patient.

3o Pour simplifier le problème, il n’aura à choisir qu’entre un très petit nombre de substances, par exemple : strychnine (qui tétanise), émétique (qui donne des nausées et de l’angoisse), morphine (qui hébète et endort), eau (qui ne fait rien)[1].

4o La probabilité étant alors de 1/4, pour faire un diagnostic exact, on verra bien vite, au bout d’un petit nombre d’expériences, si l’on a un diagnostic meilleur que celui que pourrait donner le hasard.

Charles Richet.

  1. Il m’a paru qu’en imprégnant des cahiers de papier à cigarette avec les solutions concentrées de ces substances, le mode opératoire était rendu très commode. On fera préparer ainsi par un collaborateur quelconque une douzaine de ces papiers, portant un numéro d’ordre, mais, pour l’opérateur, n’indiquant rien par rapport à la substance qu’ils contiennent.