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bouché, à moins qu’on n’ait pris des précautions tout à fait spéciales, il restera une parcelle de la substance odorante, et il me paraît sinon impossible, du moins très difficile d’avoir de l’essence d’absinthe dans un flacon bouché au liège, sans qu’on puisse, en flairant le flacon, reconnaître par l’odeur qu’il contient de l’absinthe.

Ce qui confirme d’ailleurs notre opinion, c’est que, d’après MM. Bourru et Burot, dans les tubes bouchés à la lampe, nulle action médicamenteuse ne peut être observée. Certes, il est assez extraordinaire que l’odeur de l’absinthe provoque chez un sujet hypnotisé des phénomènes d’absinthisme. Toutefois cela peut s’expliquer par une sorte d’autosuggestion, ou par une sensibilité plus grande aux actions toxiques. On provoque les phénomènes de l’ivresse, ainsi que j’en ai donné à diverses reprises de nombreux exemples, rien que par la suggestion. Donc, une trace d’odeur d’alcool peut produire les mêmes effets.

C’est là une distinction que MM. Bourru et Burot n’ont pas, je pense, suffisamment établie, et qui me paraît fondamentale. Il ne faut donc retenir de leurs expériences que celles qui portent sur des substances non volatiles.

Mais il y a quantité de substances médicamenteuses qui ne sont absolument pas volatiles. La strychnine, par exemple, la morphine, l’iodure de potassium, l’émétique, sont tellement stables que leur odeur est absolument nulle, et que, chimiquement, ils ne dégagent pas trace de vapeur. Il y a un abîme, au point de vue physique comme au point de vue physiologique, entre ces deux ordres d’action, et je ne puis comparer l’action d’un flacon qui contient de l’essence d’absinthe, ou celle d’un flacon qui contient de l’émétique ; car, si l’émétique, mis dans un flacon qu’on place derrière la nuque, provoque des actions toxiques ou médicamenteuses, je dois supposer une action tout à fait inconnue, qui ne s’explique pas, dans l’état actuel de la science, tandis qu’avec l’essence d’absinthe, tant bien que mal, il m’est possible de l’expliquer.

Nous poserons donc la question d’abord de la manière suivante :

Une substance non volatile, placée derrière la nuque ou dans la main d’une personne hypnotisable ou hypnotisée, peut-elle produire des effets physiologiques ?

Eh bien ! si invraisemblable que soit le phénomène, il existe. MM. Bourru et Burot en ont donné des exemples très probants ; et moi-même, recommençant l’expérience sur d’autres sujets, j’ai pu parfaitement la reproduire. L’effet est rapide et très intense. Avec la morphine, avec l’iodure de potassium, avec la codéine, avec l’émétique, avec la pilocarpine, j’ai eu (sur quatre personnes différentes) des effets psychiques et somatiques incontestables. Les phénomènes observés sont à peu près les suivants : troubles de la respiration, angoisse précordiale, dyspnée, contractures, tremblements, sensation de froid, de chaleur, céphalalgie, douleurs abdominales, hébétude, etc. ; c’est surtout une sorte d’anxiété respiratoire qui semble être le premier phénomène et le plus marqué, ne faisant défaut que très rarement.