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conformés, n’ont aucune expression sinistre ; leur anomalie se réduit au désordre ou à la faiblesse du système nerveux. Ce sont des organismes pathologiques, pendant que les premiers sont une variété de l’espèce humaine, les représentants peut-être, au sein de notre civilisation, des hommes préhistoriques ou sauvages, des phénomènes de réversion, ou, si l’on veut, de dégénération, ce qui, au fond, revient au même, au point de vue du criminaliste.

M. Tarde, dans un article rempli de remarques profondes et originales sur la question du type criminel[1], s’oppose à l’idée, avancée par M. Lombroso, que la criminalité ne soit que la « sauvagerie survivante », tout en admettant « des ressemblances anatomiques et physiologiques incontestables » entre le criminel-né et le sauvage préhistorique ou actuel. Le premier est plutôt un monstre, dit-il et, comme bien des monstres, il présente des traits de régression au passé de la race ou de l’espèce, mais il les combine différemment, et il faudrait se garder de juger nos ancêtres d’après cet échantillon » (page 617).

Quant à la réalité du type criminel, M. Tarde ne la conteste pas, mais il y voit presque un type professionnel, comme celui du paysan, du marin, du prêtre, etc., types reconnaissables, quelles que soient la race et la nationalité de l’individu. Il ne s’agit pas seulement d’habitudes musculaires et nerveuses identiques nées de la routine d’un même métier et capitalisées en traits physiques acquis. « Certains caractères anatomiques apportés en naissant, d’ordre exclusivement vital et nullement social dans leurs causes, formés par génération seulement et où l’assimilation n’entre pour rien, font partie du signalement moyen propre à chaque grande profession, sinon à chaque grande classe sociale » (page 620).

C’est une hypothèse qui, l’auteur même en convient, aurait plus de chance d’être vérifiée si « nulle barrière factice ne s’opposait au meilleur emploi possible des vocations individuelles. » Alors il ajoute : « Dans chaque profession il n’y aurait que des gens nés et jusqu’à un certain point conformés pour elle » (page 623).

On pourrait se demander si, tout en étant entièrement, libre de choisir son état, ce choix en serait plus éclairé. Pourrait-on savoir si l’on a réellement les aptitudes nécessaires pour avoir du succès ? N’est-on pas très souvent le jouet d’une illusion quant à la vocation qu’on prétend avoir ? C’est pourquoi il est très peu probable que, à l’avenir, le type professionel se distingue plus clairement qu’aujourd’hui. Quant à la facilité de distinguer un paysan d’un soldat, et un prêtre d’un ouvrier, je doute fort que ce soit pour bien d’autres signalements que la conformation physique.

Comment expliquer d’ailleurs que les caractères psychologiques et physiologiques du criminel-né se rencontrent si peu fréquemment dans les vrais délinquants de profession, les pick-pockets, par exemple ? Ce

  1. Voir Revue philosophique, nº de juin 1885.