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une lourde charrette qui venait au pas, pousse dessus et s’en fait renverser. Il se relève, prend son pistolet et en ajuste deux coups à un pauvre vieillard, assis sur la charrette au rebours, et qui tombe foudroyé. Il décharge ensuite les autres coups sur le cocher, le manque et s’enfuit.

Examen psychologique. — On n’avait pas la moindre trace de l’assassin, mais les carabiniers soupçonnèrent aussitôt Ner…, à cause, disent-ils dans leur procès-verbal, de son caractère sanguinaire. Arrêté et reconnu par le cocher, il avoue, il raconte l’histoire dans tous ses détails sans exprimer le moindre repentir pour avoir tué un homme qui ne lui avait fait aucun mal. Il a gardé la même indifférence avant et après sa condamnation à quinze ans de travaux forcés (ce qui lui rendra sa liberté à l’âge de trente-cinq ans). Il a répondu brièvement à mes questions, souriant, apathique.

Voilà donc un type de criminel qu’on peut déterminer psychologiquement par l’absence du sens moral, même avant d’en avoir une nouvelle preuve par son physique anormal.

Examen anthropologique. — Ner… a l’œil froid, le regard calme et apathique, le front bas et fuyant, les oreilles difformes, les dents extrêmement longues, aiguës et placées dans un affreux désordre ; presque pas de barbe ; — prognathisme très marqué du maxillaire supérieur.

Quant à l’hérédité, son père était ivrogne et à moitié fou. Ner… est enfin d’une gracilité extrême, et présente des traces de scrofules, cette maladie caractéristique des familles dégénérées.

3º Tuf…, paysan, veuf à vingt-huit ans, épousa une jeune femme d’une remarquable beauté. On lui avait promis quelques centaines de francs de dot, mais la misère de la famille de sa femme en faisait toujours retarder le payement. Il en vint à regretter de n’avoir pas épousé la sœur de sa première femme, qui avait des économies. Il commença à maltraiter sa jeune épouse, à la frapper, à lui faire toutes sortes d’injures. Elle avait un caractère doux qui lui empêchait de réagir, et assez de dignité pour ne pas raconter ses malheurs à des indifférents. Elle sanglotait quelquefois seulement avec ses amies les plus intimes.

Une nuit, Tuf… l’arrache de son lit, la jette à terre, lui applique les genoux sur la poitrine, et, de ses mains, lui serre la gorge. Elle le prie de la laisser vivre, pleure, se débat… Le supplice dure une demi-heure ; c’est l’assassin lui-même qui le raconte. Enfin il la relève, la traîne après lui dans la cour et la jette dans un puits. Le matin les voisins découvrent le corps, le retirent du puits. Tuf… voit bien qu’on le soupçonne, mais ne se soucie pas de se défendre ; il avoue cyniquement, ennuyé de chercher des prétextes. Le seul mobile a été la cupidité ; il voulait se défaire de sa femme pour épouser l’autre qui avait de l’argent. Il n’a pas le moindre remords. Très superstitieux du reste ; il porte au cou un rosaire, et invoque la Vierge à chaque instant.

Hérédité. — Tuf… n’est que l’échantillon le plus parfait d’une famille