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tellement encourageants que je ne doute pas que cet exemple ne tente quelques-uns de mes collègues. C’est dans cet espoir que je me décide à une publication, qui, n’était la méthode, n’ajouterait que trop peu de données à la science elle-même.

J’ai commencé par prendre note pendant un an de tous les procès de meurtre et d’assassinat dont je dirigeais l’instruction et qui se distinguaient par l’atrocité des circonstances ou par l’absence d’un motif en quelque sorte proportionné au crime. J’ai dû me restreindre à une seule année, parce que, après ce temps, je n’aurais plus retrouvé mes sujets qui, ayant été condamnés par les assises, seraient déjà partis pour quelque bagne lointain, à moins qu’un verdict d’acquittement ne leur eût rendu la liberté.

La simple lecture des pièces était déjà suffisante pour me convaincre qu’il s’agissait d’individus tout à fait dénués de sens moral. Dès lors, le type criminel était à peu près établi, au point de vue psychologique. Il me restait seulement à le compléter par la vue du sujet, à l’égard de l’intelligence, de la fourberie ou de l’abrutissement, du repentir ou de l’indifférence, etc.

Les anomalies anthropologiques que j’avais ensuite à remarquer ne faisaient que me confirmer dans l’idée d’une correspondance entre la dégénération physique et la morale. Et pas un seul des individus ainsi étudiés n’était exempt de quelque caractère très frappant des races inférieures de l’humanité. Quoiqu’il existe de vraies natures de criminels dont le physique n’a rien d’anormal, il faut dire que c’est l’exception et que, dans la plupart des cas, la difformité de l’extérieur s’ajoute à l’anomalie de l’organisation psychique.

1o J’ai commencé par Sed…, un garçon de vingt ans, sans parents avoués, qui dès l’âge de seize ans avait été condamné pour vol à vingt jours de prison. Quelques mois après, il avait commis un deuxième vol et avait subi une peine du même genre. Toujours dans la même année le voilà récidiviste pour la seconde fois et condamné à trois mois de prison. L’année suivante, à ce qu’il raconte, il débute par un coup de couteau produisant une maladie très grave ; mais ce qu’il y a d’inexplicable, c’est qu’il m’a été impossible de trouver dans le dossier la moindre trace de ce crime.

Il arrive tout de suite au meurtre dans les circonstances suivantes. Un jeune mendiant étranger avait tendu la main pendant tout un matin aux habitués du café de M… Le jour suivant, on le trouva mort dans le puits du cabaret où il logeait, en présentant sur son corps les traces évidentes d’un outrage tout récent.

Sed… se dénonça de lui-même. Il prétendait avoir commis ce meurtre pour se venger d’une pierre que l’enfant lui avait lancée le jour avant. Il raconta que, l’ayant trouvé endormi dans l’étable, il l’avait saisi dans ses bras et lui avait déclaré que, pour se venger, il allait le jeter dans le puits ; ce qu’il exécuta malgré les prières et les pleurs de la