Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/306

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
302
revue philosophique

soutenir que par le soin de faire voir comment les questions se sont posées tour à tour et comment elles se posent à l’heure actuelle. Rien qui ressemble à un mot d’ordre : on n’a pas même recherché une unité de tendance qui n’eût point répondu à l’état de la philosophie, qui n’eût pu s’obtenir qu’aux dépens de la variété, de la richesse et de la force. Les articles étant signés, la liberté des auteurs est absolue. Chacun traite les questions de sa compétence et de son choix, autant que possible celles dont il a fait une étude spéciale. Les professions de foi personnelles ne sont ni demandées ni exclues. Ce qu’on demande à chacun, c’est de dire clairement ce qu’il tient pour acquis et pour essentiel sur tel point déterminé de ses études, c’est de présenter sobrement, dépouillé de l’appareil didactique, le résultat de ses réflexions ou de ses recherches. Mettre le public au courant des plus récents travaux, donner aux lecteurs spéciaux et aux chercheurs un instrument de travail répondant s’il se peut à tous les besoins : voilà le but que les directeurs de l’œuvre invitent leurs collaborateurs à se proposer.

On ne peut nier le manque d’unité qui résultera nécessairement de cette façon de procéder ; mais la caractéristique de notre époque en philosophie, n’est-ce pas précisément (et à l’étranger aussi bien qu’en France) la diversité des tendances, l’absence d’une école régnante entièrement maîtresse de l’opinion ? C’eût été la tentative la plus artificielle et la plus vaine, que de prétendre offrir un système bien lié à un public qui ne croit guère aux systèmes et qui n’en demande point. L’ordre alphabétique ne le permet pas plus que ne le comportent la variété infinie des matières et le grand nombre des auteurs. Anarchie, si l’on veut, cette liberté d’allure laissée à tous sera, au point de vue philosophique, le grand intérêt, la vie même de la nouvelle Encyclopédie.

De cette manière seulement, elle sera l’image vraie du travail qui s’accomplit de nos jours en philosophie : travail qui, pour être un peu dispersé, n’en est peut-être que plus fécond. Que de problèmes, auxquels l’Encyclopédie devra faire une grande place, et qui ne se posaient même pas il y a vingt ans ! Que d’autres, et de ceux mêmes qui sont éternels, se posent d’une manière toute nouvelle ! Ce n’est pas ici qu’il est besoin d’en donner des exemples, de rappeler la transformation de la psychologie sous l’influence des sciences biologiques, la curiosité tournée vers les faits de pathologie mentale, les discussions métaphysiques elles-mêmes rajeunies par les vues de l’école évolutionniste, les efforts de la sociologie pour se constituer comme science positive, ceux de la morale pour se suffire à elle-même, la théorie de la connaissance toute renouvelée par la critique kantienne ; — sans parler des questions d’éducation passées tout à coup au premier rang des préoccupations publiques, et dont la nature philosophique ne peut pas plus être méconnue aujourd’hui que l’importance sociale. Ouverte à ces divers courants de la pensée contemporaine, la Grande Encyclopédie ne peut manquer de trouver bon accueil dans le public philosophique.

H. M.