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ANALYSES.La grande Encyclopédie.

différences essentielles, les ouvrages devant différer comme l’esprit des deux époques. Un souffle de polémique anime l’œuvre de Diderot et de d’Alembert, œuvre de combat avant tout, bien qu’elle n’ait pas été uniquement destructive : l’Encyclopédie qui se fait aujourd’hui sous l’inspiration principale de M. Berthelot ne pouvait avoir d’autre règle que l’impartialité scientifique.

Dans un temps où l’esprit n’a plus de chaînes à briser, où l’observation de la nature, l’analyse des faits, l’histoire, l’érudition, la critique, en un mot la recherche de la vérité pour elle seule a partout triomphé de l’intolérance dogmatique, le seul moyen de ne pas faire une œuvre surannée était de faire revivre le passé dans un esprit de justice absolue comme d’exactitude minutieuse, et de montrer le présent, tout troublé qu’il est à tant d’égards, en possession du moins de ce bien nouveau, la sérénité de la science.

Une Encyclopédie ayant, avant tout, et de nos jours plus que jamais, un caractère historique, celle-ci tiendra en grande partie sa physionomie propre de la place qu’elle donnera aux sciences voisines et auxiliaires de l’histoire, archéologie, épigraphie, numismatique, philologie, et d’une manière plus générale, à la recherche des origines, aux questions de devenir et de développement. Au reste, les méthodes actuelles et les résultats les plus récents de toutes les sciences seront exposés de la manière la plus complète, depuis les mathématiques pures jusqu’aux sciences physico-chimiques et à leurs dernières applications, depuis les sciences naturelles, profondément renouvelées par les vues transformistes, jusqu’aux connaissances géographiques, si fort enrichies par les récents voyages d’exploration. Des planches très nombreuses, des cartes hors texte illustreront l’exposition aussi souvent qu’elle y devra gagner en clarté ou en intérêt.

Au premier abord, on se demande comment une part comparable pourrait être faite aux « lettres », c’est-à-dire aux choses du goût et aux ouvrages d’imagination. Mais l’histoire littéraire tout entière entre de plein droit dans les cadres d’une Encyclopédie ; et l’on conçoit sans peine ce que l’intelligence des littératures classiques gagne nécessairement à la diffusion des découvertes qui ont rajeuni au point que l’on sait l’étude des langues, l’histoire des arts, des mœurs, des coutumes, des institutions. Quant aux productions modernes et contemporaines, pas un ouvrage de quelque valeur ne sera omis : les plus modestes seront mentionnés au moins à titre d’indications bibliographiques, à propos des choses dont ils traitent ; ceux d’une notorité plus étendue vaudront à leurs auteurs une notice biographique, sobre nécessairement, mais proportionnée autant que possible à la place qu’ils tiennent dans leur temps.

Mais la philosophie, comment sera-t-elle représentée dans l’ouvrage ? Par des articles historiques et critiques sur les philosophes et les doctrines ; par des articles de fond sur les questions elles-mêmes : ces derniers, d’ailleurs, conçus encore le plus souvent dans un esprit historique, c’est-à-dire moins inspirés par la préoccupation d’une thèse à