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la douleur sont neutralisées en lui l’une par l’autre, se contemple et s’admire sans cesse dans tous ses mouvements, lesquels sont les modes d’expansion des choses visibles et invisibles, et ne prend pas plus de souci des êtres contingents qui se renouvellent en son être nécessaire que l’homme des cellules vitales composant son corps » (p. 4 et 5). Cela résume la doctrine positive du philosophe. Il dit bien que « le sentiment de justice est la plus belle conquête de l’homme » (p. 55) ; mais c’est pour le plaisir d’utiliser une réminiscence. La morale n’est rien, pour lui, que la moralité résultant de certaines conventions qui ont leurs avantages.

Il aime à jouer avec les mots : « Le bon sens est pour chacun le sens dans lequel il marche » (p. 75) ; il n’abuse pas toutefois du jeu ; gravement, il répète : « C’est une chose aussi triste que bizarre qu’il faille, pour se faire mieux voir des gens, leur jeter de la poudre aux yeux » (p. 113), ou : « Le monde est ainsi fait qu’il s’y gaspille chaque jour au profit d’êtres indignes plus de générosité qu’il n’en faudrait pour contenter le double des gens de cœur » (p. 124). Ces deux notes se rapportent à l’être éphémère.

La religion est définie « un dilettantisme du cœur » (p. 138) ; l’amour n’est qu’un besoin des sens, l’auteur le dit et le redit complaisamment en termes tout au moins très vulgaires.

Au chapitre de la politique, cette pensée, qui est intéressante, sinon nouvelle : « Notre mécanisme social pourrait être meilleur qu’il n’est, mais l’humanité toujours imparfaite ne le comportera jamais bon » (p. 130), et cette autre, qui est des plus fausses, pour nous, bien entendu : « La loi qui consacre un progrès non encore mûr, c’est-à-dire non encore désiré par le peuple, est à ce progrès ce qu’est la cloche au melon de couche, elle hâte sa maturité. C’est donc la chose la plus déraisonnable de la part du législateur que de ne vouloir pas légiférer d’un progrès sous prétexte qu’il n’est pas encore mûr » (p. 184).

Rien, en somme, nous ne disons pas d’ingénieux, mais même d’un peu original ; et point de ces trouvailles d’expression qui enchantent l’esprit encore que la pensée exprimée ne le contente pas.

Parce qu’un auteur se qualifie de pessimiste, nous ne nous croyons pas en droit d’exiger de lui qu’il s’applique à résoudre les plus grands problèmes, le problème du mal ; et si, loin de tâcher seulement à en dégager les diverses données, il ne les devine même point, nous ne nous étonnons pas outre mesure. M. Bourget, dans ses Études psychologiques, n’a pas analysé tout le mal, mais un mal très particulier ; M. Rod, qui, dans sa Course à la mort, s’est montré plus ambitieux, qui a recherché ; lui, ou l’amant de Cécile, parmi les religions, les philosophies, les littératures mortes, comment sentaient et pensaient les hommes d’autrefois, n’a pas laissé voir qu’il eût compris la grandeur des deux idées très chrétiennes de péché et de rédemption : les Études psychologiques, la Course à la mort n’en sont pas moins des ouvrages considérables. C’est que les deux écrivains — ils ont des qualités, des défauts aussi, très différents — sont vraiment des écrivains ; c’est