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cisme : « Tout ce qui vient d’être exposé sur le jugement, le raisonnement et la démonstration, dit-il, est sans doute, pour la valeur scientifique, très inférieur à l’enseignement d’Aristote sur les mêmes sujets. La dialectique stoïcienne ne porte point, comme les Analytiques d’Aristote, la marque inimitable d’une pensée profonde, large et sûre d’elle-même. » Sans doute il ajoute qu’elle garde, en dépit des emprunts et des imitations, une véritable originalité ; mais nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire de s’excuser, comme il le fait, d’être entré dans les plus arides détails et de l’avoir exposée peut-être un peu longuement, car il nous a bien montré lui-même qu’elle valait la peine d’être examinée attentivement. Nous ne croyons pas davantage qu’il soit possible de comparer sur ce point Aristote et les stoïciens ; car, sans vouloir contester la valeur des théories logiques d’Aristote, il faut bien reconnaître que les stoïciens venant après lui ne pouvaient que répéter ce qu’il avait dit — ce qui eût été absolument infructueux au point de vue scientifique — ou essayer d’ouvrir de nouvelles voies. N’eussent-ils donné que leur théorie des signes, trop peu connue et trop légèrement jugée par bon nombre d’historiens de la philosophie, qu’ils auraient bien mérité la reconnaissance de certains philosophes modernes qui n’ont fait souvent que reproduire, retrouver ou commenter leurs doctrines.

À propos du souverain bien, nous appellerons l’attention sur ce que l’auteur dit des choses indifférentes et des trois éléments qui constituent la totalité complexe d’une action humaine. Il faudrait signaler encore tout ce qui concerne le sage et la cité, la théodicée et la religion. Bornons-nous à quelques points intéressants en laissant aux lecteurs le plaisir de découvrir les autres. C’est avec raison, selon nous, que l’auteur distingue à propos des qualités qui caractérisent le sage, et de tous les talents qui lui sont attribués, la possession en puissance de la possession en acte ; car si l’on ajoute à cette distinction capitale la remarque que jamais un philosophe stoïcien ne s’est donné lui-même pour un sage, on verra sans peine ce que valent les reproches d’orgueil que Bossuet et surtout Pascal ne leur ont pas ménagés. C’est avec raison aussi qu’il dit de la cité stoïcienne qu’on ne peut se défendre d’une sorte d’admiration reconnaissante en entendant les stoïciens proclamer les premiers, avec tant de force et de netteté, l’universelle fraternité et l’égalité essentielle de tous les hommes. L’auteur nous semble avoir également caractérisé avec exactitude les rapports du stoïcisme et de la religion populaire. « Le stoïcisme ne pense pas, dit-il, qu’il faille détruire jusqu’aux derniers vestiges du culte antique. Au contraire, il semble avoir, pour les restes maintenant appauvris de ces croyances, qui, longtemps puissantes, ont abrité la civilisation naissante et fécondé le génie des artistes, une tendresse respectueuse et de pieux ménagements… il fait une habile économie de tout ce qui reste encore et peut devenir une force vive » (p. 263). Il explique admirablement la chute du Stoïcisme : « Il est tombé, dit-il, quand il ne