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l’univers et de l’existence d’une volonté suprême, des forces et des masses, du hasard, de l’homme, de la raison et du libre arbitre, du temps et de l’espace.

L’Introduction (p. 9 à 30) est intéressante : elle nous montre un métaphysicien pour lequel la vie humaine se compose d’une série de sensations venant par nos sens et nos nerfs, par notre mémoire, par nos facultés de juger et de vouloir. Chacun de nous a pour univers l’ensemble de ses propres sensations ; mais la sensation est mixte, elle exige d’une part un principe inconnu possédant la capacité ou la faculté de sentir et qui soit en nous-même ; d’autre part, un second principe non moins inconnu qui mette en jeu cette faculté. Nous demeurons en effet un inconnu pour nous-même. Nous ne pouvons connaître notre propre essence, parce qu’elle se mélange toujours avec une essence étrangère pour produire la sensation. D’un autre côté, les forces de la nature entière nous restent absolument étrangères tant qu’elles ne sont pas venues prendre dans notre organisme une forme, une position et un rythme appropriés à la production de la sensation. La nature se présente à nous comme contenant deux éléments distincts : les masses et les vitesses relatives de ces masses ; tous les phénomènes se produisent pour nous dans l’espace et le temps. Les masses, les vitesses, l’espace et le temps constituent le domaine de la science, domaine où l’expérience règne en souveraine ; et la science est rendue possible par la constance des lois qui le régissent. Nous ne pouvons par la raison, dépasser, comme l’a montré Kant, le domaine de l’espace et du temps. Mais l’âme, sans être matière, pourrait s’allier à la force pour produire la sensation, comme la force s’unit à la matière pour produire la vitesse ou le mouvement.

L’auteur réunit dans son œuvre deux sortes d’idées qu’il importe de discerner : tantôt il raisonne sans sortir de l’espace et du temps : il reste alors dans le domaine scientifique et donne à ses conclusions une forme affirmative ; tantôt il fait des hypothèses en dehors de l’espace et du temps et ne donne ses conclusions que comme de simples possibilités. En traitant de l’existence de Dieu dans le monde, c’est-à-dire dans le domaine où les lois naturelles ont une valeur certaine, il arrive à affirmer cette existence. Lorsqu’il traite de l’existence d’une volonté suprême, il donne comme chose possible ou probable l’attribution de cette volonté à un Absolu placé en dehors de l’espace et du temps.

Dans les chapitres qui servent de développement à cette préface, on trouve des vues scientifiques dont on peut contester l’exactitude, mais dont on ne saurait nier l’apparence spécieuse. On y rencontre également des indications métaphysiques qui ne laissent pas d’être ingénieuses, mais qui auraient besoin souvent de développement et de justification. La nature, dit l’auteur dans un passage qui rappelle le Stoïcisme et l’école d’Alexandrie, tend à un but final, elle se compose d’une série de chutes, elle est un immense écroulement. Notre principe de sensi-