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oppose son calme à la fureur des éléments : on a reconnu le sublime mathématique et le sublime dynamique de Kant. Ce qui est commun à ces deux états, dit M. Adam, c’est que l’âme y prend un vif sentiment de sa liberté. Mais c’est dans le sublime moral que ce sentiment sera surtout excité : tantôt il naîtra d’un élan extraordinaire de l’âme vers les grandes choses, de l’enthousiasme ; tantôt d’un contraste violent, et le sublime pourra facilement alors dégénérer en ridicule ; mais le sublime apparaîtra toutes les fois ou que des passions vives s’élèveront jusqu’à s’affranchir de la raison ou que la raison triomphera à tel point que les passions domptées se courberont docilement sous ses lois. Dans les deux cas, la vue du sublime excitera dans l’âme un vif sentiment de liberté. « Ainsi toujours les jugements esthétiques s’expliquent par un profond sentiment de liberté (p. 206). » Telle est la conclusion de l’auteur sur laquelle nous formulerons plus loin nos réserves.

Passant ensuite à la question de l’idéal, l’auteur se demande s’il existe un idéal qui puisse être pris comme critérium de la beauté. On ne peut sans doute expliquer le plaisir que nous prenons à l’art par l’imitation ; si l’imitation était parfaite, l’objet serait beau ou laid, nous plairait ou nous déplairait par lui-même, puisque nous ignorerions qu’il est un produit de l’art. Ce qui fait

Qu’il n’est point de serpent ni de monstre odieux
Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux,

c’est le plaisir que nous éprouvons en face de la difficulté vaincue. « Est-ce encore du marbre, du bronze, ou bien un être vivant que l’on a sous les yeux ? L’esprit hésite et joue entre les deux explications (p. 213). » C’est cette liberté qui nous plaît, elle que nous aimons, c’est son exercice qui nous charme. « L’artiste a donc le pouvoir de répandre sur n’importe quel objet un air de vie et de liberté, que celui-ci n’a pas lui-même. » Loin de s’embarrasser de tous les détails, il ne vise qu’à en représenter un certain nombre beaux en eux-mêmes et caractéristiques ; il fait toujours œuvre de choix et de liberté. L’art consiste surtout à bien lier ensemble les traits caractéristiques : un bossu devra être, selon le mot de Diderot, « bossu de la tête aux pieds ». Ici encore l’artiste sera libre de la meilleure liberté. « Être libre ne consiste pas à n’avoir point de loi, mais à n’en avoir qu’une, qui vienne de l’intelligence, et par laquelle on se soustrait à la servitude des lois purement physiques (p. 221). » Par cette loi supérieure l’artiste se fabrique un idéal, il crée des types éternels comme Praxitèle ou Phidias, comme Sophocle ou Racine, comme Aristophane ou Molière.

Si nous considérons maintenant les beautés de la nature, nous remarquerons qu’elles deviennent de plus en plus nombreuses à mesure que nous passons de la nature minérale aux plantes, des plantes aux animaux, des animaux à l’homme, c’est-à-dire à mesure que progresse dans les choses, avec la complexité du mouvement et des organes, l’apparence de la liberté. M. Adam a donc le droit de conclure : « Les juge-